Archives de Catégorie: Drame

Loulou ROBERT – Bianca

biancaDate de parution : 04/02/2016
Editions : Julliard
ISBN : 978-2-260-02934-2
Nbr de pages : 294
Prix constaté : 19€

Un extrait par ici !

Résumé :
 » Je m’appelle Bianca. C’est ma mère qui a choisi ce prénom. C’est son côté « Américaine’ même si l’Amérique, elle connaît pas. Il y a un mois jour pour jour, assise dans mon salon en compagnie de Teddy, le chat de la maison, je regardais la télévision. Teddy dormait, les lignes de ses lèvres supérieure et inférieure me souriaient. Il avait l’air bien. Je me suis dit que si je fermais les yeux et laissais tout aller, je sourirais peut-être comme lui. Les lignes bleues qui sillonnent mes poignets ont été inondées de rouge, du rouge sur le sol, sur mes vêtements. Au moins, ce n’était plus tout noir. Au moins il y avait de la couleur. « 

Impressions :
Les affres de l’adolescence servent souvent de base en littérature pour pointer du doigt le fragile équilibre qui nous habite lorsque notre cerveau n’est pas encore formé à 100 % (pour info, on estime que notre cerveau serait « définitif » entre 25 et 30 ans). C’est donc une période difficile où l’apparence et le regard des autres jouent un rôle primordial. A tel point que les comportements extrêmes, entre dépression et révolte, ne sont pas rares. « Bianca » est un récit choc qui donne la parole à son héroïne perturbée de tout juste 16 ans. Sorte de journal intime de l’adolescente, le roman nous permet de franchir le pas entre l’histoire sur papier et la vie intérieure de Bianca. Pris à témoin par la jeune fille, une espèce de connivence s’installe entre elle et nous. A tel point que je me suis sentie en osmose avec elle, bien que mon adolescence soit loin derrière moi.

  De quoi tirer mon chapeau à Loulou Robert qui parvient à travers sa narration à nous faire ressentir la souffrance psychologique et physique de Bianca. Le récit se veut double. D’une part, on est en présence d’un récit intimiste qui met en scène le malaise de l’adolescente, bien qu’elle peine à y mettre des mots. Anorexie ? Elle réfute ce trouble. Tentative de suicide ? Oui, mais pourquoi au juste ? Un vague à l’âme ? Un spleen (ce mal indéfinissable qui rend la vie si creuse et sans saveur) ? D’un autre côté, Bianca nous interpelle abruptement, n’y allant pas avec le dos de la cuillère et porte un regard acerbe sur le monde qui l’entoure. Sur ses pairs, sur les adultes, sur cette vie dont elle se détache inexorablement. Comment y retrouver goût ? Les rencontres qu’elle fera lors de son internement l’aideront à y voir plus clair.

  La narration aérienne et cash apporte ce qu’il faut pour nous tenir en haleine. Avec Bianca, on est sans cesse sur le fil, prêt à basculer avec elle, prêt à lâcher prise pour mieux se retenir au dernier instant. Le ton est tangible, tout en pudeur mais possède aussi sa part de brutalité. Ici, il n’est pas question de se voiler la face. Les autres patients qui entourent l’adolescente ne sont que des coquilles brisées, prêtes à voler en éclats au moindre nouveau heurt. Ça pourrait être larmoyant, excessif, mais ça sonne pourtant juste. On est si fragile quand on est adolescent. Les mots sont des armes. Les gestes, les regards déplacés ou blessants en sont tout autant. « Bianca » en est la parfaite illustration.

Verdict : Avec les honneurs

rock

Larry TREMBLAY – L’orangeraie

l'orangeraieDate de parution : 19/05/2016
Editions : Folio
ISBN : 978-2-07-046926-0
Nbr de pages : 151
Prix constaté : 5.90€

Résumé :
Les jumeaux Amed et Aziz auraient pu vivre paisiblement à l’ombre des orangers. Mais un obus traverse le ciel, tuant leurs grands-parents. La guerre s’empare de leur enfance. Un des chefs de la région vient demander à leur père de sacrifier un de ses fils pour le bien de la communauté. Comment faire ce choix impossible ?

Impressions :
« L’orangeraie » avec ses quelques 150 petites pages, est un récit dense et difficile à lire, tant son histoire trouve écho dans l’actualité de ces derniers mois. J’ai eu beaucoup de mal à écrire cette chronique, à mettre des mots sur ce que j’ai ressenti lors de ma lecture. Si l’auteur met en scène les ravages de la guerre, c’est pour mieux nous interpeller sur les déviances qui peuvent en découler. Comme de sacrifier un de ses fils pour la cause, d’en faire un martyr pour la postérité. Alors que l’on vient de perdre des proches, en sacrifier d’autres pour obtenir vengeance est un non-sens absolu selon moi.

  L’histoire d’Amed et d’Aziz aurait pu être celle de deux jumeaux qui grandissent au milieu des orangers, dans un cadre bucolique et insouciant où les jeux et les rires se disputent la première place. Malheureusement, un obus vient faire voler en éclats tous leurs espoirs d’un avenir radieux. Et l’arrivée d’un homme, un guerrier plein de rancœur, va précipiter leur chute. Ce texte, bien qu’il touche à une actualité brûlante et soulève de nombreuses interrogations sur le sens du devoir envers son dieu, envers sa communauté ainsi que sur l’état psychologique des victimes de ces conflits, entre culpabilité et folie, ne cherche pas à être moralisateur.

  Bien au contraire le message de Larry Tremblay est celui de la paix et de la fraternité. Montrant que nous sommes tous égaux par-delà les races, les âges, les croyances. Nous laissant entendre un message intemporel qui montre que la souffrance est universelle, tout comme la peur, la tristesse, la colère et qu’il ne faut pas se laisser submerger par ce désir de vengeance qui engendre toujours plus de guerres et de tragédies. Quand cessera la folie des Hommes ? Combien encore d’Amed et d’Aziz devrons-nous sacrifier pour que justice soit faite ? Pour que chacun soit satisfait ? Assez…

Verdict : Avec les honneurs

rock

Lisa BALLANTYNE – Le piège de la mémoire

le piège de la mémoireTitre original : Redemption road (2015)
Date de parution : 28/01/2016
Editions : Belfond
ISBN : 978-2-714-45960-2
Nbr de pages : 390
Prix constaté : 21€

Résumé :
Écosse, 1985 – Angleterre, de nos jours.
Margaret vient d’être victime d’un grave accident de voiture. Un accident qui aurait dû lui être fatal sans l’intervention miraculeuse d’un homme, un géant au visage brûlé, qui l’a sauvée in extremis avant de plonger lui-même dans le coma. Maxwell, c’est son nom ; un inconnu aux yeux de Margaret.
1985. Cadet d’une famille de malfrats, George McLaughlin a décidé de s’enfuir, le coffre plein de billets volés à ses frères, pour rejoindre sa femme et leur fille, la petite Molly, sept ans. Mais est-il encore temps ? Car sa femme a refait sa vie et Molly ignore tout de son véritable père. Alors quand celui-ci se présente à elle dans la rue, l’enfant panique. Et George commet l’irréparable. Lancés sur les routes écossaises, George et Molly se découvrent peu à peu, et bientôt une belle complicité les unit. Mais ces instants de bonheur sont comptés…
Trente ans plus tard, Margaret s’interroge : qui est ce géant aux yeux bleus, cet ange gardien qui a risqué sa vie pour sauver la sienne ? Pourquoi ce sentiment d’être intimement attachée à cet homme ? Que lui cache sa mémoire et comment faire pour libérer les terribles souvenirs qu’elle recèle ?

Impressions :
« Le piège de la mémoire » est un magnifique drame familial qui m’a tenu en haleine tout le long de ses 400 et quelques pages. Le genre de roman qui explore le quotidien parfois trivial de ses personnages tout en livrant une analyse psychologique assez fine sur l’importance des liens familiaux. Sommes-nous définis par nos actes, par notre parenté ? Même lorsque l’on a occulté tout une partie de notre passé ? La rédemption est-elle possible ? Lisa Ballantyne soulève de nombreuses questions sur la quête identitaire, sur le poids d’une affiliation malheureuse, sur les liens du sang et sur le sens du sacrifice. Quand nos souvenirs sont trop lourds à porter, n’est-il pas plus facile de se décharger de leurs poids pour se réinventer complétement ? Une solution commode en apparence, mais qui a un coût…

  J’ai été transportée par le récit que nous livre Lisa Ballantyne, qui est construit à la manière d’un jeu de pistes qui nous transporterait entre 1985 et 2013. A partir d’un accident de la route, l’auteur tisse sa toile et nous livre deux récits gigognes, celui de Margaret professeur de lettres en 2013 et celui de Big George mécanicien en 1985. Si le lien qui unit les deux personnages devient vite évident, c’est tout le processus narratif qui parvient à capter notre attention et à nous immerger dans le récit. L’intrigue faite de mauvais coups du sort, de choix malheureux et d’analyse psychologique nous prend à la gorge. J’ai adoré la manière dont l’auteure parvient à nous démontrer que même animé des meilleurs intentions du monde, les gens vous associeront toujours à la branche pourrie de votre famille. Les préjugés ont la dent dure…

  Si l’intrigue est si prenante, c’est en partie grâce à ses personnages bien croqués. Que ce soit la petite Molly, si attachante et fragile ou Big George, ce géant au grand cœur, maladroit dans l’expression de ses sentiments ou encore Angus, ce journaleux cruel et bouffi d’orgueil, qui n’éprouve pas une once d’amour pour sa femme et sa fille. Tous ont le mérite de nous remuer. L’aspect psychologique est appréciable parce qu’il ne tombe pas dans la caricature du gentil/méchant. L’auteur parvient avec brio à nous faire ressentir les sentiments qui animent ses personnages et ce jusqu’à la dernière page. On est ému par cette fin inéluctable mais empreinte de noblesse. Un très beau roman.

Verdict : Avec les honneurs

rock

Claire CAMERON – L’ours

l'oursTitre original : The bear (2014)
Traduit par : Bernard Cohen
Date de parution : 21/01/2016
Editions : Kero
ISBN : 978-2-366-581829
Nbr de pages : 285
Prix constaté : 18.90€

Résumé :
Anna, 5 ans, et son petit frère Stick campent avec leurs parents dans un parc naturel sauvage lorsqu’ils sont surpris en pleine nuit par ce que la petite fille confond avec un gros chien. Le lendemain, Anna découvre qu’elle et Stick sont désormais seuls, et que c’est à elle, la « grande », qu’il incombe de protéger son frère. Débute alors pour les deux enfants isolés une dangereuse errance…

Impressions :
Inspiré d’un fait réel, ce roman sobrement baptisé « L’ours » est un véritable déchirement. Raconté par la petite Anna, 5 ans, qui utilise son langage d’enfant pour nous rendre compte d’une soirée de camping qui vire au cauchemar, ce récit chamboule le lecteur. Comment rester de marbre face à l’histoire de ces deux enfants en bas âge, livrés à eux-mêmes en pleine nature, leurs parents victimes d’un ours mangeur d’hommes ? Comment ne pas s’émouvoir devant cette narration faite de souvenirs et de sensations, représentant la perception du monde de cette enfant de 5 ans qui essaie de s’accrocher à la vie ? Claire Cameron livre un récit d’une puissance rare, sans jamais tomber dans le pathos.

  A la manière de « Room » d’Emma Donoghue, l’auteure imagine une narration faite par une enfant, avec tout ce que cela importe. Un langage limité. Une ponctuation défaillante. Des divagations, la jeune narratrice passant d’une idée à une autre en empruntant les chemins tortueux d’une concentration en dents de scie. C’est certes parfois laborieux à lire, mais cela fait son effet et remplit son rôle à merveille. On « est » dans l’esprit d’Anna, cette petite fille qui essaie de saisir le monde qui l’entoure avec ses propres mots. Le fait que l’auteure déroule les souvenirs de la fillette à partir du moment où ses parents se font agressés jusqu’à leur sauvetage n’en est que plus poignant. On voit tout le chemin elle a parcouru pour s’en tirer.

  Anna, est une petite fille très attachante et très courageuse. Prenant son rôle de grande sœur très au sérieux, elle dépasse ses limites pour tenter de le sauver. Seule, on peut s’imaginer qu’elle n’aurait pas su surmonter tous les obstacles. Faisant preuve de ruse à chaque instant pour mener son petit frère de deux ans vers la sécurité, on sent qu’elle se rend compte que ses parents ne les rejoindront sûrement pas. Sa vision du monde et de cet environnement hostile qui lui avait pourtant semblé amusant quand elle venait y prendre des vacances en famille nous apparait de manière imparfaite. L’ours devient un gros chien noir tout simplement parce qu’elle ne sait pas ce qu’est un ours, sa mère couchée dans un buisson semble se reposer. C’est bouleversant. Une lecture dont on ne sort pas indemne.

Verdict : Avec les honneurs

rock

Susan ABULHAWA – Le bleu entre le ciel et la mer

le bleu entre le ciel et la merTitre original : The Blue Between Sky and Water
Traduit par : Nordine Haddad
Date de parution : 25/01/2016
Editions : Denoël
ISBN : 2207131025
Nbr de pages : 432
Prix constaté : 22.50€

Résumé :
1947. La famille Baraka vit à Beit Daras, village paisible de Palestine entouré d’oliveraies. Nazmiyeh, la fille aînée, s’occupe de leur mère, une veuve sujette à d’étranges crises de démence, tandis que son frère Mamdouh s’occupe des abeilles du village. Mariam, leur jeune sœur aux magnifiques yeux vairons, passe ses journées à écrire en compagnie de son ami imaginaire. Lorsque les troupes israéliennes se regroupent aux abords du village, Beit Daras est mis à feu et à sang, et la famille doit prendre la route, au milieu de la fumée et des cendres, pour rejoindre Gaza et tenter de se reconstruire dans l’exil. Seize ans plus tard, Nur, la petite-fille de Mamdouh, s’est installée aux États-Unis. Tombée amoureuse d’un médecin qui travaille en Palestine, elle décide de l’y suivre. Un voyage au cours duquel elle découvrira que les liens du sang résistent à toutes les séparations même la mort.

Impressions :
« Le bleu entre le ciel et la mer » de Susan Abulhawa est un magnifique roman, entre le conte mystique et la chronique familiale et historique. L’auteure nous y relate le quotidien d’une famille palestinienne sur quatre générations, des années 50 à nos jours. Bien que de nombreux personnages soient à l’honneur, Susan Abulhawa recentre son récit autour de la figure de la femme. Mère, fille, sœur, chaque facette est traitée avec la plus grande attention car chaque relation est unique. On ressent une grande déférence entre ces femmes, beaucoup d’affection et de complicité. Cela transparait dans des petites scènes du quotidien : les civilités autour d’un thé, les bavardages au lavoir, et même jusque dans les rites du mariage où les femmes se réunissent au hammam pour préparer la mariée. Il faut se serrer les coudes entre femmes. A plus forte raison quand on vit dans une partie du monde en constante guerre.

  L’auteur dépeint avec beaucoup de talent les rapports qui régissent ces habitants du Moyen-Orient. Chaque problème est accueilli selon des codes bien arrêtés (un enfant qui colporte de sales rumeurs par exemple), car il faut régler ces conflits en bonne entente. La sagesse même. Susan Abulhawa n’a pas son pareil pour décrire le quotidien de ces populations, avec toutes ses subtilités et ses petits détails. Cette éloquence trouve son écho dans la narration d’événements historiques marquants pour les palestiniens. Outre le choc de certaines scènes qui dépeignent avec beaucoup de réalisme les sévices infligés aux populations, l’autre nous permet de voir sous un œil nouveau le conflit qui agite depuis si longtemps Israël et la Palestine. L’impact de son propos est d’autant plus grand que l’on sait que Susan Abulhawa a vécu la guerre des six jours. Son roman s’inspire de son vécu (exilée au Koweït puis aux Etats-Unis comme certains de ses personnages) et n’en parait que plus crédible.

  Récit sur l’expatriation, sur le sentiment d’appartenance à une terre, sur la famille, « Le bleu entre le ciel et la mer » est aussi empreint de mysticisme. Possession par un djinn, perception des auras, fantôme protecteur, c’est comme si les personnages cherchaient refuge dans le monde de l’occulte. Pour se protéger des horreurs de la guerre et la laideur de certains êtres humains, les moyens mis à disposition sont parfois insignifiants. Seule la grande force morale et la dévotion dont font preuve Nazmiyeh et sa famille les aideront à tout supporter. C’est une belle leçon de courage et d’humilité que nous donne Susan Abulhawa. A travers le personnage de Nazmiyez, cette femme généreuse à la langue acérée, elle nous offre un très beau portrait de femme. Après tant d’épreuves traversées, sa confiance en sa famille ne la quitte jamais. Pas plus que sa foi envers sa sœur, Mariam. Un roman lumineux bien que déchirant que je n’oublierais pas de sitôt.

Verdict : Avec les honneurs

rock