Archives de Catégorie: Social

Antoine SENANQUE – Jonathan WEAKSHIELD

jonathan weakshieldDate de parution : 06/04/2016
Editions : Grasset
ISBN : 978-2246812029
Nbr de pages : 390
Prix constaté : 20€

Résumé :
1897, Scotland Yard, Londres. Le dossier Jonathan Weakshield est réouvert. Ancienne grande figure de la pègre, il avait été déclaré mort quinze ans plus tôt. Chef du Seven Dials, quartier redouté des bas-fonds londoniens, il y a fait régner l’ordre et la terreur au côté du Viking, le maître des gangs de la capitale, officiellement pendu en 1885.
Les empreintes retrouvées sur une lettre à une inconnue prouvent que Weakshield est vivant. Tandis qu’un inspecteur acharné se lance sur sa piste à travers l’Europe et l’océan Indien, l’enquête de deux journalistes du Daily News dévoile les secrets de celui qu’on avait surnommé pour sa cruauté le « loup du Seven Dials ». Qui est-il ? Comment a-t-il disparu ? Et pourquoi refait-il surface maintenant ?
Il faudra remonter loin, revenir sur son passé en Irlande au temps de la grande famine, interroger ses lieutenants, suivre son ascension à Londres, revivre la bataille des gangs de Strugglefield, son amitié brisée avec le Viking et son histoire d’amour secrète. Weakshield revient pour régler ses comptes et sauver la femme qu’il aime, mais les vieilles haines se réveillent et le sang s’apprête à couler de nouveau sur les bords de la Tamise.

Impressions :
« Jonathan Weakshield » est un roman à ambiance. Celle de l’époque Victorienne, poisseuse et mal famée de ses bas quartiers, enfumée et en constante évolution par ses progrès technologiques amenés lors de la révolution industrielle. On y côtoie du beau monde, mais aussi le fond du panier. Charles Darwin, Mme Tussauds, Oscar Wilde, Jack l’éventreur, et bien sûr, Jonathan Weakshield… Un enfant de la pègre, que l’on surnomme « le loup du Seven Dials ». Ou plutôt surnommait, l’homme ayant disparu de la circulation 15 ans plus tôt. Une lettre viendra rouvrir le dossier Weakshield et un journaliste mettra tout en œuvre pour déloger le personnage et faire la lumière sur son passé. Quitte à écumer les bas-fonds et à côtoyer la misère la plus abjecte…

  Le contexte est superbement rendu par Antoine Sénanque, qui fournit un vrai travail de fond sur l’époque et n’hésite pas à appuyer son récit sur un bagage historique conséquent. On découvre ainsi les pratiques odieuses des marchands d’enfants avec un réalisme cru qui soulève le cœur. Mais aussi les règles qui régissent la pègre et ses gangs, qui font régner la loi sur les bas-fonds. Un quotidien fait de pugilat, de transactions douteuses et d’un esprit de loyauté qu’il fait bon de respecter. L’atmosphère qui s’installe rapidement nous horrifie par son troublant pouvoir d’attraction. Comme le jeune journaliste enquêtant sur Weakshield, on se sent presque « fasciné » par le personnage.

  Le roman s’efforce de nous dresser le portrait du « loup de Seven Dials » à travers la mémoire et l’image que s’en font ses anciens proches. Le récit remonte le fil des souvenirs à l’aide d’interview que mène Louis Meadows, le journaliste, et des bribes du présent, les chapitres passant d’un personnage à un autre pour nous rendre compte d’une vision d’ensemble du personnage et de l’époque. C’est parfois difficile à suivre, les sauts narratifs étant nombreux. Mais il faut bien ça pour fournir un profil complet du personnage. Et quel personnage ! Avec son fidèle écureuil toujours juché sur l’épaule et son opiniâtreté à toute épreuve. La violence, omniprésente, rappelle le film « Gangs of New York » ou encore la série tv « Peaky Blinders ». On fraye avec la lie. Des hommes sans foi ni loi qui sont pourtant très à cheval sur les questions de loyauté et d’amitié. Un récit sans concessions, servi par une plume ciselée qui ne laisse rien au hasard. Mon seul regret, une narration qui aurait pu être plus aérée car le flot d’informations et la structure pyramidale est parfois difficile à suivre.

Verdict : Bonne pioche

bonne-pioche

George MORIKAWA & NOBUMI – Je reviendrai vous voir

Je-reviendrai--vous-voirTitre vo : Ai ni Iku Yo (2014)
Traduit par : Tetsuya Yano
Date de parution : 28/05/2015
Editions : Akata
ISBN : 978-2-36-974056-8
Nbr de pages : 152
Prix constaté : 6.95€

Pour lire un extrait, c’est par ici !

Résumé :
Nobumi est un jeune père de famille. Il est surtout auteur de livres illustrés destinés aux enfants. À l’instar de nombreux japonais, il sera, le 11 mars 2011, choqué à vie par la triple catastrophe qui s’abat sur son pays. Un peu naïf, et le cœur empli d’espoir, il décide alors d’envoyer gratuitement plusieurs milliers d’ouvrages jeunesse (dont les siens) pour distraire les enfants de la zone sinistrée. Mais quand il annoncera son don sur son blog, les réactions des internautes seront pour le moins… violentes ! Choqué et meurtri jusqu’au plus profond de son âme, Nobumi va alors vivre une véritable crise artistique, dont une seule issue sera possible : laissant pour plusieurs jours sa vie confortable de tokyoïte, il part en tant que bénévole volontaire, pour aider à la reconstruction de la zone sinistrée du nord est du Japon. Il y découvrira un paysage encore pire que tout ce qu’il avait pu imaginer…

Impressions :
« Je reviendrai vous voir » est un très beau manga social qui revient sur la catastrophe de Fukushima de 2011. Devoir de mémoire, c’est aussi une façon de montrer qu’il y a plus d’une façon de venir en aide aux sinistrés, que chaque petite action a son utilité. L’idée de départ vient de l’auteur d’album pour enfants Nobumi, qui raconte dans un petit livre les quelques jours qu’il a passé en tant que bénévole auprès de la population lors de la catastrophe. Il y raconte son expérience mais par-dessus tout explique ses motivations et la façon dont son implication a été perçue par certains japonais. Si toute aide est la bienvenue, en parler est parfois mal perçu, comme si l’on cherchait à profiter du malheur d’autrui. Les Japonais à ce propos sont très pudiques et n’aiment pas que l’on fasse étalage de toute marque de soutien.

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  L’histoire originale est alors reprise par George Morikawa, mangaka du célèbre Hajime no Ippo, qui met en scène avec le concours d’autres mangakas l’expérience humanitaire de Nobumi. Sa transposition en manga possède d’autant plus de poids que lui aussi s’est rendu à Fukushima en tant que bénévole. De manière très pudique, Morikawa dépeint les conditions de vie difficiles de la population, parfois livrée à elle-même, dont la vie se retrouve éparpillée sous les décombres. La boue charriée par la mer ainsi que les gravats enlisent les souvenirs des habitants. Ici, une photo de mariage, là le vélo d’un enfant. Comment reprendre goût à la vie quand l’on a tout perdu dans une catastrophe ? Les quelques témoignages de bonté prennent alors tout leur sens, surtout lorsque l’on a perdu un proche…

Capture

  En parallèle, l’auteur semble sans cesse se demander si ses actions sont utiles à la population. Que pourrait-il faire de plus ? Déblayer les rails d’un tronçon de chemin de fer à moitié détruit est-il futile ? Lire une histoire à un groupe d’enfants pour leur faire oublier leurs soucis ne serait-ce qu’un instant n’a-t-il aucun intérêt ? Vouloir apporter un peu de joie à cette population qui souffre, est-ce vraiment hypocrite ? Beaucoup de questions qui taraudent l’auteur qui aimerait en faire plus sans que ce ne soit perçu comme un acte opportuniste. C’est une belle leçon d’humilité et d’humanité que l’on prend à la lecture de « Je reviendrai vous voir ». Le trait de Morikawa est maitrisé et offre des pages bouleversantes où un simple regard peut émouvoir. Les quelques cases dessinées de-ci de-là par d’autres mangakas se fondent parfaitement dans le décor. Un manga authentique et saisissant à découvrir de toute urgence !

Verdict : Avec les honneurs

rock

Kentarô UENO – Sans même nous dire au revoir

sans-même-nous-dire-aurevoirTitre vo : Sayonara wo iwazuni (2010)
Broché paru le : 4 novembre 2011
Editeur : Kana
Collection : Made In
ISBN : 978-2-505-01318-1
Nbr de pages : 287
Prix constaté : 12.70€

Résumé :

Kentarô Inoue est mangaka. Il habite, avec sa femme et sa fille de 10 ans, dans une petite maison qui lui sert aussi d’atelier. C’est une famille heureuse. Jusqu’au jour où, alors qu’il s’apprête à se coucher, il la retrouve allongée face contre sol, inerte. « Sans même nous dire au revoir » raconte ce qui s’est passé ensuite dans la vie de l’auteur jusqu’à aujourd’hui.

Ce que j’en ai pensé :

  « Sans même nous dire au revoir » est un oneshot triste et un peu étrange, qui retrace le parcours du deuil du mangaka Ueno Kentarô lors du décès de sa femme. C’est donc un récit autobiographique et réaliste, qui fait la part belle aux sentiments et aux impressions « à chaud » de l’auteur confronté à la mort. Le manga est épais (presque 300 pages) et dense, le mangaka s’arrêtant parfois sur une sensation, pour ensuite s’intéresser à l’aspect plus « matériel » de la mort : les cérémonies funéraires japonaises, le coût des obsèques, les rites qui leur succèdent, etc. On se rend compte que par-delà l’horreur de la perte et du chagrin, c’est toute une machine qui se met en branle.

  Le mangaka reste très pudique dans son récit, et certains moments de grâce touchent le lecteur au cœur, comme lorsque celui-ci croque un portrait réaliste de sa femme avec beaucoup de tendresse. On peut dire que ce manga a été une manière pour lui de faire son deuil, de prendre pleinement conscience que l’être aimé ne reviendra pas et de finalement l’accepter. De cette manière, Ueno Kentarô dessine parfois quelques planches surréalistes, comme si une spirale infernale engloutissait toute sa raison et provoquait en lui un vertige. J’ai trouvé cela un peu étrange, même si j’ai bien compris où le mangaka voulait en venir.

  Au-delà de ces dessins singuliers, le trait de l’auteur est un peu « à l’ancienne », avec une griffe résolument réaliste mais pas toujours très harmonieuse ou adroite. Les visages sont très peu expressifs, un peu froids, on sent que l’auteur a du mal à faire passer l’émotion dans son trait, comme s’il cherchait à rester détaché de tout ça. Je vous dis tout de suite, je n’ai pas particulièrement adhéré à ce style, ce n’est franchement pas le point fort du manga. Le peine et le désespoir passe principalement par le texte, l’auteur s’interroge beaucoup, sur les circonstances de la mort de sa femme, sur leur vie passée et sur le souvenir qu’elle lui laissera. Néanmoins, le manga touchera certainement plus ceux qui ont perdu un proche, au risque pour les autres de se sentir un peu éloigner de cette prise de conscience.

Verdict : Bonne pioche

bonne-pioche

Takashi MURAKAMI – Le chien gardien d’étoiles, tome 1

le-chien-gardien-d-etoilesTitre original : Hoshi Mamoru Inu, book 1 (2009)
Paru le : 04/05/2011
Éditeur : Sarbacane
Genre : Social, Drame
ISBN : 978-2-84865-458-4
Nb. de pages : 126
Prix constaté : 17.50€

Best seller au Japon vendu à plus de 400 000 exemplaires.

Prix remportés :
Livre de l’année 2009 (Magazine Da Vinci)
Livre de « platine » prix décerné ; par les lecteurs
Meilleur manga 2010 : 4e place (Magazine Takarajima)
Bros comic award 3e place (Tokyo News)

Résumé :
L’histoire commence par la découverte des corps sans vie d’un homme et de son chien, dans une carcasse de voiture. Fait étrange, la mort de l’homme remonte à plus d’un an, celle du chien à trois mois à peine. Flashback… Un petit employé japonais au chômage offre un chiot à sa fille. Bientôt sa femme divorce. L’homme, qui n’a plus rien, part sur les routes, accompagné, dans ce qui sera son dernier voyage, par son seul et unique ami, le chien.
2e partie : un jeune assistant social, chargé de disposer des corps découverts, décide de retracer la vie de ces deux êtres, jusqu’à leur déchéance finale. Il se remémore alors sa propre histoire avec le chien de son enfance.

Ce que j’en ai pensé :

  Voici un pur chef-d’œuvre du manga d’auteur, et croyez-moi si je vous dis que je n’emploie pas ce mot à tort et à travers, mais là c’est amplement mérité ! J’en suis encore émue et bouleversée après quelques semaines. Les épithètes qui me viennent à l’esprit pour décrire ce manga pleuvent : émouvant, lumineux, engagé, juste, sensible, cruel, etc. Impossible de se contraindre à un seul mot pour évoquer cette petite merveille, qui a fait beaucoup de bruit au pays du Soleil Levant. Un succès mérité qui, j’espère, sera aussi fulgurant chez nous, car il serait franchement dommage que cette œuvre ne se fasse pas (re)connaître. J’espère que cet chronique lui sera un tant soit peu bénéfique…

De quoi ça parle ?
De la relation émouvante d’un chien et de son maître ?
Non, c’est trop réducteur.
D’une critique de la société actuelle japonaise ?
On s’en approche.
De la déchéance d’un homme ?
Dans une certaine mesure.
Et bien en fait, c’est un peu tout cela à la fois et même plus.

  « Le chien gardien d’étoiles » commence par la découverte du corps d’un homme et de son chien dans une voiture abandonnée au milieu d’un champs. La mort de l’homme remonte à plus d’un an, celle de son chien, d’à peine quelques mois… Qu’est-ce que qui a conduit cet homme à mourir de cette façon, abandonné, loin de toute civilisation ? C’est ce que le manga se propose nous expliquer sur une petite centaine de pages.

  100 pages, ça peut sembler court, même pour le format, mais le mangaka prend le parti de nous exposer son histoire de manière dense, en allant droit à l’essentiel, sans une case ou une trame de trop. Et le lecteur se rend vite compte que c’est largement suffisant car rien n’apparaît de trop dans ce manga, chaque planche étant d’une justesse rarement atteinte.

  Les dessins de Takashi Murakami qui ont un petit air d’inachevé et d’un peu naïf ne payent pas de mine de prime abord, mais pourtant ils sont magnifiques car chargés d’une force visuelle narrative qui ne laisse personne indifférent. Le ton, d’une justesse incroyable, bouleverse et émeut sans jamais tomber dans le pathos dégoulinant. Il y a beaucoup de mélancolie pourtant dans ce manga, et je défie quiconque n’a pas un cœur de pierre, de verser une larme à un moment donné de cette histoire.

  Mais c’est surtout une jolie leçon de courage, une histoire d’amour et d’amitié, et aussi une énorme prise de conscience comme pour le personnage final d’Okutsu, qui à travers l’histoire de cet homme et de son chien se rendra compte qu’il reste toujours de l’espoir.

  Enfin, un mot sur l’objet en lui-même qui est tout simplement splendide. La couverture est cartonnée, d’une grande qualité, le format bien plus grand qu’un manga normal. Les pages sont épaisses, un peu comme du papier canson. La couverture est magnifique, les couleurs chaudes des tournesols avec en son milieu notre fameux chien gardien d’étoiles sont joliment rendues. Un plaisir pour les yeux, et pour la bibliothèque. D’ailleurs si le prix peut sembler rébarbatif de prime abord, il faut garder à l’esprit que ce manga s’apparente à une édition de luxe.

  Un manga que je conseille à tous les amoureux des beaux objets, à ceux qui cherchent des œuvres de qualité, à ceux qui aiment les mangas de genre social, et surtout à ceux qui n’aiment pas les mangas et qui les regardent avec mépris, puisse votre regard changer avec celui-ci.

Verdict : Nuit Blanche

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