Titre original : The paying guests (2014)
Traduit par : Alain Defossé
Paru le : 17 avril 2015
Editions : Denoël
Collection : & d’ailleurs
ISBN : 978-2-207-11896-2
Nbr de pages : 700
Prix constaté : 24.90€
Résumé :
Angleterre, 1922. La guerre a laissé un monde sans hommes. Frances, vingt-six ans, promise à un avenir de vieille fille revêche, habite une grande maison dans une banlieue paisible de Londres avec sa mère. Pour payer leurs dettes, elles doivent sous-louer un étage. L’arrivée de Lilian et de Leonard Barber, tout juste mariés, va bousculer leurs habitudes mais aussi leur sens des convenances. Frances découvre, inquiète et fascinée, le mode de vie des nouveaux arrivants : rires, éclats de voix, musique du gramophone fusent à tous les étages. Une relation inattendue entre Frances et Lilian va bouleverser l’harmonie qui régnait dans la maison…
Impressions :
Sarah Waters est une auteure qui m’avait beaucoup marqué avec son roman « Du bout des doigts » il y a quelques années. Elle récidive aujourd’hui avec « Derrière la porte », qui reprend les mêmes ingrédients qui m’avaient tant plu précédemment : un mélange de thriller et d’analyse de mœurs, ici à l’époque de l’après-guerre (celle de la première guerre mondiale). L’auteure nage en plus à contre-courant puisque son héroïne est gay et doit vivre son homosexualité à une époque encore très opaque où celle-ci est même signe de folie. C’est donc un roman qui se joue des codes du classicisme britannique, Sarah Waters usant d’une narration caractéristique de l’époque édouardienne, avec une prose dense (parfois un peu trop verbeuse) mais bien ancrée dans son époque après-guerre avec ses nombreuses considérations historiques.
Le récit bien que long (un bon gros 700 pages) est aussi substantiel et explore d’intéressantes thématiques telles que la place des femmes dans ce monde d’après-guerre, la fin de la petite bourgeoisie, l’évolution industrielle qui se profile et surtout un remaniement de la famille traditionnelle maintenant que les femmes ont pris goût au travail et que de nombreux hommes sont morts à la guerre. J’ai vraiment apprécié la part historique du roman avec ses réflexions sur le féminisme, le progrès et la fin d’une époque dorée pour les rentiers. Fini le petit personnel prêt à exécuter la moindre tâche ingrate, il faut dorénavant mettre la main à la pâte et récurer soi-même les sols, faire la cuisine, les courses, etc. Il est amusant de constater que c’est encore et toujours les apparences qui comptent, avec ce souci constant de ce que vont penser les voisins et amis de cette chute de rang social. On en ressort avec l’impression que le regard des autres est un boulet duquel on ne peut se défaire, peu importe l’époque.
Au-delà de cette analyse des mœurs d’une époque, Sarah Waters livre également un drame sensuel et fascinant, le portrait de deux femmes très différentes mais qui se complètent. Et la plus moderne des deux n’est pas forcément celle que l’on croit. Frances, la narratrice du roman, est l’archétype de la vieille fille qui vit avec sa mère et s’occupe de toutes les tâches domestiques, mettant de côté tout espoir d’émancipation. Lilian est une femme mariée, bohème et oisive mais qui fait figure de femme indépendante. Petit à petit, en grattant la première couche de peinture, on se rend compte que Frances n’est pas si transparente que ça, et a vécu à une époque une passion interdite, plus insouciante des apparences que jamais. Lilian, quant à elle, n’est pas aussi frivole qu’elle le parait et son mariage n’a rien d’idyllique non plus. Leurs histoires respectives, livrées avec mesure, laissent peu à peu la place à une passion dévorante et un drame dévastateur. Le récit nous plonge alors dans une spirale de malheurs, avec son lot de situations insupportables et de décisions sans espoir de rédemption. Une peinture des mœurs corrosive, où tout est question de convenance et qui nous habite longtemps.
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