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Charles FRAZIER – A l’orée de la nuit

à l'orée de la nuitTitre original : Nightwoods (2011)
Traduit par : Brice Matthieussent
Editions : Grasset
Date de parution : 03/09/2014
ISBN : 978-2-246-80242-6
Nbr de pages : 383
Prix constaté : 20.90€

Résumé :
Dans l’Amérique des Sixties, au fin fond des Appalaches où elle vit retranchée, loin des soubresauts du monde, Luce, jeune femme farouche et indépendante, se voit confier la charge des jumeaux de sa sœur défunte. Ayant vu leur père, Bud, une brute épaisse, assassiner leur mère, les orphelins traumatisés se sont réfugiés dans un mutisme inquiétant, où sourd une violence prête à exploser à tout moment. Patiemment, Luce va tenter de réapprendre la vie à ces deux écorchés vifs, et elle-même de reprendre goût à l’amour et à la compagnie des hommes. À celle, en particulier, de Stubblefield, nouveau propriétaire des terres où elle s’est établie. Mais leur idylle est menacée par le retour de Bud, blanchi du meurtre de sa femme et bien décidé à retrouver le magot que les deux enfants, croit-il, lui ont volé.

Impressions :
Vous ne connaissez peut être pas Charles Frazier mais pourtant on lui doit le roman qui a servi d’adaptation pour le film « Retour à Cold Mountain » avec Nicole Kidman. Décrit comme l’un des grands romanciers des espaces américains, il est indéniable que l’auteur connait très bien la nature et sait comme la sublimer. « A l’orée de la nuit » qui se pose comme le récit de personnages malmenés par la vie est aussi une ode à cette même nature, qui sert ici de refuge pour ces laissés pour compte. L’auteur semble recommander un retour aux sources, une hygiène de vie au plus près de la nature. Se balader en forêt, faire pousser ses propres légumes, élever des poulets et ne pas se laisser enrôler dans un train de vie matérialiste. Pour se faire, il nous décrit le quotidien de Luce, jeune femme vivant au fin fond des Appalaches au milieu des années 60. Suite au meurtre de sa sœur, elle se retrouve avec ses deux enfants sur les bras et se laisse vite dépasser. A sa décharge, ses neveux et nièces ne sont pas des plus équilibrés. Elle les soupçonne d’avoir assisté au meurtre de leur mère, assassinée par leur beau-père. Comment réussir à les faire sortir de leurs coquilles ? A les apaiser ? Qu’est-ce que c’est que le rôle d’une mère ? Luce devra faire montre de patience et de détermination pour dompter les deux enfants…

  Pas vraiment thriller ni vraiment western comme j’ai pu le lire, « A l’orée de la nuit » est un hymne à la nature sauvage et à la reconstruction. Tous les personnages sont des paumés, qui ont souffert à un moment ou à autre et se sont retranchés sur eux-mêmes, laissant un vide dans leur entourage. Si Dolores et Franck, les neveux de Luce, ressemblent plus à de petits animaux sauvages qu’à des enfants, leur tante n’est pas un modèle d’équilibre non plus. Suite à un drame qu’elle a réprimé de toutes ses forces, elle s’est créé une façade que la venue des enfants commence à fissurer. Elle se pose plein de questions sur la notion de famille, d’amour et de responsabilité. Au final, c’est vers la nature qu’elle se tourne pour tenter de guérir Dolores et Franck. Les deux enfants mutiques, qui semblent trouver un plaisir malsain dans le feu et ont déjà décapité deux poulets, commencent à s’apaiser au contact d’une petit jument et lorsqu’ils se promènent en forêt. Luce leur dispense des leçons de vie : comment récolter les légumes, savoir reconnaitre certaines plantes, le plaisir du travail bien fait. Des choses simples qui leur permettent de vivre l’instant présent. Luce s’adoucit et la vie reprend son cours… Du moins pendant un temps car à une centaine de kilomètres de là, Bud le meurtrier de sa sœur est relâché et blanchi de tous soupçons. Et il semble bien décidé à retrouver les enfants.

  Le roman se fait alors double car au lieu de se concentrer sur Luce et sa nouvelle vie, Charles Frazier donne aussi voix à Bud et à ses errances de marginal. On entre dans sa tête, voit à travers ses yeux et comprend ce qui le motive. Bien que détestable, on se rend compte que Bud ne réagit que par instinct et n’essaie pas d’analyser ses propres faits et gestes. Il agit avant de penser et ne s’encombre pas de remords. C’est marche ou crève. C’est un individu primaire, qui ne semble pas capable d’empathie. L’argent facile semble régir sa vie. Bref, on sent que tout l’oppose à Luce et que leur affrontement ne pourra pas bien se finir. Charles Frazier est vraiment très doué quand il s’agit de percer la psyché de ses personnages. Ceux-ci sont denses, torturés et ne laissent pas indifférent. La beauté côtoie la noirceur, la simplicité la vénalité. L’auteur mène son récit de main de maitre. Sa plume est généreuse, imagée et offre de très beaux passages. Un très bon roman de cette rentrée littéraire.

Verdict : Nuit blanche

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