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Jeff VANDERMEER – Le Rempart sud, tome 1 : Annihilation

rempart sud 1Titre original : Annihilation (2014)
Traduit par Gilles Goullet
Date de parution : 10 Mars 2016
Editions : Au diable vauvert
ISBN : 979-10-307-0021-3
Nbr de pages : 222
Prix constaté : 18€

Résumé :
Toute cette région était désertée depuis des décennies, pour des raisons qui ne sont pas faciles à raconter. Notre expédition était la première à entrer dans la Zone X depuis plus de deux ans et la majeure partie de l’équipement de nos prédécesseurs avait rouillé, leurs tentes et abris ne protégeant plus de grand-chose. En regardant ce paysage paisible, je ne pense pas qu’aucune d’entre nous n’en voyait encore la menace. »
La zone X est coupée du monde depuis des décennies. La nature y a repris ses droits. Quelques vestiges de civilisation subsistent dans une faune et une flore luxuriante.
La première expédition décrit une contrée idyllique. La deuxième s’achève sur un suicide de masse. Les membres de la troisième expédition s’entretuent, ceux de la onzième reviennent amorphes et succombent à un cancer foudroyant. Nous suivons la douzième, composée de femmes. Leur mission : cartographier le terrain et ne pas se laisser contaminer par la zone X.

Impressions :
Les romans de Jeff VanderMeer sont difficiles d’accès. Délicat de ne pas se casser les dents sur « La cité des saints et des fous », le récit étant construit à l’envers et l’histoire foisonnant sur quelques 600 pages. Avec sa trilogie du Rempart Sud, j’ai voulu redonner une chance à l’auteur, surtout que les trois tomes sont assez courts et que le pitch est très accrocheur. Une région interdite d’accès qui rend les gens fous et dont on ne sait rien, à part qu’elle vous change à jamais. Voilà de quoi attirer l’attention ! Pari gagné pour ce premier tome ? Pas totalement. Si « Annihilation » est un roman prenant au suspense constant, il est aussi parfois nébuleux et nous laisse bien souvent dans le flou le plus total. A trop jouer sur le mystère, l’auteur finit par nous perdre complètement et on comprend l’action par bribes, même en faisant un effort de concentration.

  La particularité du récit, c’est de mettre au cœur de son intrigue une héroïne dont on ne connait pas même le nom. La biologiste, le quatrième membre de l’expédition envoyée dans la zone X, voilà comment on se réfère à elle. Les trois autres sont ainsi nommées : la psychologue, la géomètre et l’anthropologue. Quatre femmes aux compétences bien définies, quatre femmes parachutées dans une région sauvage et dont la mission tournera vite au fiasco. Cette manière de garder anonyme l’identité de ces femmes renforce la sensation de bizarrerie et de distance qui se dégage du roman. Comme si les personnages n’avaient pas grande importance mais que seule comptait la zone X. Et c’est bien le cas.

  Le mystère entourant cette zone à la faune et la flore improbable et luxuriante est rendue avec une abondance de couleurs et de sensations, à tel point que l’on s’y croirait. On sent la moiteur du lichen, les graminées s’envoler et la vie pulser à chaque pas de la biologiste. Les descriptions sont particulièrement précises et appréciables lorsqu’il s’agit de se projeter au cœur de cette région sauvage. L’angoisse qui accompagne les invraisemblances de ce lieu concourt à nous interroger sur la véritable nature de la zone X. De fait, on se demande si c’est l’imagination de la biologiste qui lui joue des tours, si elle a été contaminé et de ce fait, hallucine ou si tout ça est bien réel et dépasse l’entendement. Le suspense, à ce niveau-là, est bien mené, car on ne sait jamais sur quel pied danser.

  Peu à peu, en en apprenant plus sur le passé de la biologiste, sur son couple, sur sa personnalité, on perd peu à peu de vue l’intérêt même du récit. A savoir, l’aspect fantastique du roman. Bien que les souvenirs qui remontent à la surface soient en lien direct avec ses déambulations dans la zone X, la narration se fait plus confuse. On ne comprend pas toujours bien ce qu’il se passe. Bien que je sois persuadée que ce soit voulu, ça reste extrêmement frustrant pour le lecteur qui aimerait en savoir plus ! La plume recherchée de l’auteur est une épée à double tranchant. Si parfois on s’arrête sur une dénomination, une spécificité de la flore, un peu perplexe, elle apporte aussi une belle profondeur au récit. Côté traduction, rien à redire. Surtout que certains passages n’ont pas dû être évidents à adapter. En bref, un premier tome mystérieux et troublant mais qui aurait gagné à être un peu plus clair. Curieuse de connaitre le fin mot de l’histoire, en tout cas !

Verdict : Bonne pioche

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Evie WYLD – Tous les oiseaux du ciel

tous les oiseaux du cielTitre original : All the birds, singing (2013)
Traduit par : Mireille Vignol
Date de parution : 03/09/2014
Edition : Actes Sud
Collection : Lettres des Antipodes
Isbn : 978-2-330-03446-7
Nbr de pages : 258
Prix constaté : 21.80€

Résumé :
Jake Whyte, une jeune Australienne, s’est réfugiée sur une île britannique où elle s’occupe seule d’un élevage de moutons. Le jour où plusieurs de ses bêtes sont sauvagement mutilées, la police locale ne semble pas prendre sa plainte au sérieux. Pourtant, Jake se sent menacée. Ce passé tourmenté et douloureux qu’elle pensait avoir laissé derrière elle en fuyant sa terre natale l’aurait-il rattrapée ? Tandis que Jake mène son enquête, nous sont révélés, dans un reflux de la mémoire, les événements à l’origine de son départ d’Australie…

Impressions :
« Tous les oiseaux du ciel » est un étrange roman, au rythme inversé qui permet d’installer confusion et tension au récit. Nous suivons Jake, une jeune australienne solitaire qui vit uniquement entourée de ses moutons et de son chien, Dog (qui veut dire chien, vous remarquerez l’originalité de la chose). Mutique, méfiante et n’aimant pas beaucoup la compagnie d’autrui, celle-ci doit faire face à la disparition et la mort de quelques-unes de ses bêtes. Dès lors, c’est une atmosphère angoissante qui s’installe. Qui tue donc ces moutons ? Ou quoi ? Est-ce juste de la méchanceté de la part d’un groupe d’ados qui cherche à s’amuser ou Jake se serait-elle fait des ennemis qui auraient retrouvé sa trace ? Au beau milieu de cette lande sauvage et envahie par les vents, difficile de ne pas se laisser gagner par l’appréhension, par les ombres qui passent devant la fenêtre et par les hurlements du vent. Si c’est bien de cela qu’il s’agit…

  A partir de cette interrogation, Evie Wyld déroule sous nos yeux curieux le passé de Jake et construit une narration à reculons, les souvenirs de l’héroïne nous étant livrés de manière décroissante. On commence donc par des flash-back dans le passé le plus récent de Jake pour remonter de plus en plus loin dans ses souvenirs. Les chapitres voire parfois les paragraphes, alternent entre ce passé et le présent qui l’a amené à son exil dans cette campagne hostile. C’est du coup difficile de suivre l’intrigue, qui requiert toute l’attention du lecteur. Si l’on ne concentre pas dès le début, il parait évident que l’on se perdra dans les méandres des réminiscences de Jake. Pourtant, s’il l’on s’accroche, le récit vaut vraiment le coup car la vie de l’héroïne s’avère des plus tumultueuses.

  Au fur et à mesure que les pages se tournent, le passé de l’héroïne et cette narration à rebours prennent tout leur sens. Et je me dois d’applaudir des deux mains ce procédé ingénieux qui nous plonge de plus en plus profondément dans les blessures de Jake. Evie Wyld parvient ainsi à garder tout le suspense et la tension jusqu’au dénouement final. Jusqu’à cet élément déclencheur qui a fait de la vie de l’héroïne une descente aux enfers. Les différents portraits de personnages que croisera Jake tout au long de ses divagations sont impitoyables et on comprend que celle-ci se soit refermée sur elle-même. Heureusement, çà et là une rencontre lui apporte un peu de bonté. Poussée dans ses moindres retranchements, on sent pourtant que son chemin aboutira à quelque chose de plus heureux. La fin, qui est aussi le début de l’histoire de Jake, se veut enjoué et lumineux. On évite ainsi l’écueil du pathos et on referme le livre avec de l’espoir pour notre héroïne malmenée.

Verdict : Avec les honneurs

rock

Darren WILLIAMS – Conséquences

consequencesTitre original : Angel Rock (2002)
Broché paru le : 11/10/2012
Edition : Sonatine
ISBN : 978-2-35584-165-1
Nbr de pages : 392
Prix constaté : 20€

Résumé :
1969. Angel Rock est une petite localité du sud de l’Australie, austère et abandonnée du monde. Le village a été durement touché par la crise, l’industrie du bois peine à le maintenir en vie. Nature hostile, conditions de vie difficiles, familles isolées, c’est dans ce contexte douloureux qu’un drame s’abat sur la communauté : Tom Ferry, 13 ans, et son petit frère Flynn disparaissent dans le bush, aux abords du village.
Une battue est organisée pour les retrouver, en vain. Sydney, quelques semaines plus tard. Une adolescente en fugue originaire d’Angel Rock est retrouvée morte dans une maison abandonnée. Le suicide ne fait aucun doute pour les autorités. Mais Gibson, un policier sombre et tourmenté, décide, de poursuivre ses investigations. Défiant sa hiérarchie, il gagne Angel Rock ou il va mener une enquête qui, bien vite va tourner à l’obsession.
Dans cette petite communauté où rien ne s’oublie mais où rien ne se dit jamais, Gibson devra affronter le poids du passé, le sien et celui du village, pour mettre à jour des secrets enfouis depuis trop longtemps.

Impressions :
Les éditions Sonatine ont gagné leurs galons en nous proposant des thrillers à la croisée des genres, navigant parfois entre le fantastique et l’historique, nous offrant des romans hétéroclites et de qualité. « Conséquences » n’échappe pas à la règle, même s’il reste de nature plus classique. Darren Williams, écrivain australien, m’a bluffé par la maitrise de son intrigue. C’est comme s’il jouait avec nous et nous baladait dans cette petite ville aux règles singulières et inconnues, auxquelles seuls ses habitants répondent.

  L’action plante son décor à Angel Rock (Castle Rock, people ?), une petite bourgade d’Australie profonde où chacun se connait, où la vie n’est pas une sinécure, la nature sauvage et impossible à dompter étant de la partie. Malgré cela, il faut survivre, s’adapter pour s’en sortir. Sur cette base, Darren Williams nous concocte une intrigue tentaculaire, mêlant enquête policière et secrets de village, drame familial et monstres humains. La tension, tapie entre les pages de « Conséquences », nous fait craindre pour ses jeunes protagonistes, les enfants devant payer un lourd tribut pour les erreurs commises par leurs parents. C’est incroyablement bien mené, tant et si bien que j’ai été émue aux larmes et que j’ai tremblé de peur pour Tom qui perd son petit frère dans le bush et devra en subir les effroyables « conséquences », lui, le mal-aimé de la famille…

  Vous l’aurez compris, les relations familiales sont au cœur de ce thriller oppressant dont le malaise nous gagne très rapidement. On vibre en compagnie des personnages, tellement humains, criant de réalisme, l’auteur faisant montre d’une dextérité rare quand il s’agit de nous présenter des personnages et leurs émotions. Darren Williams n’hésite d’ailleurs pas à explorer leur psyché sans retenue. Bien entendu, le roman reste « classique » dans le sens où il n’innove pas et que la trame a un petit côté déja-lu, mais on oublie vite cela face à l’efficacité de l’auteur. « Conséquences » est un thriller désenchanté, mais profondément sensible et émouvant, où les personnages prennent le pas sur l’intrigue. C’est un monde rude et impitoyable que nous décrit Darren Williams, où les enfants perdent leur innocence très tôt et où la douceur de l’enfance passe en un instant. Un roman à fleur de peau, que je recommande chaudement (ça tombe bien, il vient de sortir en poche chez Points !)

Verdict : Bonne pioche

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