Archives de Tag: Racisme

Shilpi Somaya GOWDA – Un fils en or

un fils en orTitre original : The golden son (2015)
Date de parution : 07/01/2016
Editions : Mercure de France
ISBN : 978-2-7152-4148-0
Nbr de pages : 480
Prix constaté : 25.80€

Résumé :
Anil est le fils aîné d’un riche propriétaire terrien à la tête d’un vaste domaine qu’il administre d’une main ferme. Normalement, Anil doit succéder un jour à son père. Mais à la surprise de sa famille, il annonce, jeune encore, vouloir être médecin. Il doit donc partir étudier loin de chez lui, d’abord encore en Inde, puis plus tard, aux États-Unis, consécration suprême croit-on autour de lui.
Curieusement sa redoutable mère ne s’oppose pas à la vocation de son fils chéri, ni à son éloignement du berceau familial. Au pays des mariages arrangés, elle souhaite bien sûr une union prestigieuse pour Anil. Or depuis qu’il est petit, elle l’a vu jouer un peu trop souvent avec Leena, la fille d’un pauvre métayer. Quand celle-ci est devenue une très belle jeune fille, il faut l’éloigner, s’en débarrasser, en la mariant à la va-vite à un homme qui se révèlera être un véritable tortionnaire pour sa jeune épouse.
Les destins croisés d’Anil et de Leena forment la trame de ce roman – lui en Amérique qu’il croyait être l’eldorado et où il se heurtera, au Texas, au racisme le plus violent. Et elle en Inde, où sa vie sera celle de millions de femmes victimes de traditions cruelles. Ils se reverront un jour, chacun prêt à prendre sa vie en main, après beaucoup de souffrances. Ils se rapprocheront l’un de l’autre – mais auront-ils droit au bonheur ?

Impressions :
« Un fils en or » est une magnifique ode aux illusions qui nous portent tout au long de notre vie. Celles qui nous brisent, celles qui nous aident à nous dépasser, celles qui nous permettent de faire la part des choses, prêt à accepter la dure réalité d’un monde sans pitié, à chérir ce qui est à notre portée. Que l’on soit un jeune indien rêvant d’un El Dorado américain où la médecine rime avec moyens financiers ou que l’on soit une jeune indienne rêvant d’un mariage heureux, à l’image de celui de ses parents à qui l’on cherche à faire honneur. Ce roman a su me bouleverser par ses personnages volontaires, par son clivage Inde/Etats-Unis superbement mis en lumière, par sa réalité sordide loin de tous les clichés propres à ses deux pays. Une lecture dont on ne sort pas indemne !

  Anil est l’ainé d’une fratrie de cinq enfants, fils d’un des notables de son petit village. Son père, de par son statut, se voit confier la mission de trancher les questions épineuses qui bouleversent le village. Une espèce de juge pour ses pairs, on fait appel à lui pour recevoir sa part de sagesse. En tant qu’aîné, Anil devrait lui succéder. Mais il a un rêve, que son père soutient : devenir médecin ! Pour cela, il décide de partir aux Etats-Unis pour faire son internat, sûr que ce pays si instruit sera un paradis pour lui qui cherche à s’émanciper. Son amie d’enfance, Leena, restée au pays et unique enfant de ses parents, des petits métayers sur les terres de la famille d’Anil, se voit quant à elle poussée à un mariage arrangé. Mariage un peu au-dessus de sa classe sociale, pour lequel ses parents se sont saignés pour payer la dot conséquente. Les deux amis ont placé de grands espoirs dans leur avenir qu’ils voient tout tracé. Pour Anil, devenir médecin aux Etats-Unis, pour Leena, devenir une épouse et une mère épanouie. Malheureusement, leurs illusions seront vite piétinées par une réalité loin d’être idyllique…

  Le récit donne principalement voix à Anil, qui nous décrit son internat aux Etats-Unis, loin de tout ce qu’il s’était imaginé. L’univers de l’internat hospitalier est impitoyable, c’est une course à la performance. C’est à celui qui se fera le mieux voir de ses supérieurs, à celui qui réussira le premier à se faire sponsoriser par un des chefs de service. La moindre petite erreur peut amener à la mort d’un patient, les journées sont à rallonge, on passe d’un stage d’un service à un autre, sans pouvoir souffler. A côté de ça, il faut également penser à étudier et trouver un sujet d’étude suffisamment intéressant pour être validé. Anil, qui était un des meilleurs élèves de son université, découvre avec stupeur qu’il est loin d’égaler les connaissances des autres étudiants. Ici, il n’y a que la crème de la crème et Anil est vu comme le pauvre petit étudiant indien sorti de sa cambrousse. Un « paki » qui confond les traces de gale et de shoot. Entre cet univers implacable et le racisme auquel il est confronté, il a bien du mal à s’accrocher à ses rêves.

  La destinée de Leena, elle, est inextricablement liée à la famille d’Anil. Shilpi Somaya Gowda lui donne ainsi la parole lorsqu’Anil revient au pays. Puis les deux s’alterneront, pour donner une vue globale de la vie d’un expatrié et d’une jeune indienne soumise aux traditions. Leena, qui se retrouve coincée dans un mariage-arnaque, m’a émue aux larmes. La jeune femme est combative, elle essaie de voir le bon en chacun. Elle fait face, même devant les viles injustices, la tête haute. J’ai admiré sa détermination, son amour pour ses parents. Enfermée dans des traditions caduques, l’auteure montre à quel point l’Inde reste tournée vers le passé au lieu de se désenchaîner de ses coutumes absurdes qui brisent des vies. Pour autant, les pays industrialisés n’ont rien d’un paradis où tout est parfait. Il y a de la violence, de l’intolérance, de la haine. Certes, ses habitants ont accès à de meilleurs soins et une meilleure éducation, mais tout cela à un coût. L’auteure brasse tous ces thèmes avec une grande aisance. Le récit possède une puissance narrative qui nous happe complètement. J’ai d’ailleurs été à deux doigts de jeter mon livre par terre quand Leena se retrouve en danger. Preuve que l’auteure sait nous faire vibrer de concert avec ses personnages. Un très beau roman, triste mais porteur d’espoir à la fois et que l’on ne repose qu’une fois la dernière page tournée.

Verdict : Nuit blanche

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Motorô MASE – Démokratia, tome 3

démokratia 3Saison 1 complète en 5 tomes
Date de parution : 25/09/2015
Editions : Kazé
Collection : Seinen
ISBN : 978-2-82032-210-4
Nbr de pages : 192
Prix constaté : 8.29€

Résumé :
L’expérience Dēmokratía a mal tourné : suite à un “incident”, Mai a frappé Iguma qui est mort des suites de ses coups. Suspecté dans cette affaire, Taku Maezawa, le créateur de Dēmokratía, a pris la fuite et tente d’échapper à la police tout en suivant le devenir du robot humanoïde à distance. Les faits et gestes de Mai sont désormais entre les mains de la communauté qui la contrôle… mais au fond, peut-on espérer une once d’humanité de la part d’un corps dénué de conscience ?

Impressions :
Après un second tome de haute volée, le troisième tome de Demokratia vient une fois de plus mettre un coup de pied dans la fourmilière qu’est la petite communauté d’utilisateurs du programme qui gère Mai. En cause, des questions d’anonymat, de racisme et même d’euthanasie. L’androïde faisant la rencontre d’un vieil homme solitaire qu’ « elle » sauvera, la communauté devra décider s’il entre alors sous « sa » responsabilité de l’aider plus avant. J’ai apprécié le ton tout en pudeur avec lequel Motorô Mase parle de la vieillesse. Que ce soit Mme Yoshimura ou Mr Oikawa, je les ai trouvé très touchants chacun à leur manière.

  Le mangaka mêle habilement des faits de société aux problèmes de conscience que rencontre sa démocratie virtuelle. Les interrogations soulevées sont intéressantes, Motorô Mase ne se posant pas en donneur de leçons. Le mangaka amène ainsi plusieurs cas de figure en faisant partager le quotidien de certains des utilisateurs de démokratia, qui se feront influencer par leurs expériences personnelles. Ainsi la haine de Harukic2 envers les étrangers trouve sa source dans ses problèmes professionnels. De cette manière, le mangaka nous propose une vue d’ensemble, avec ses pour et ces contre.

  Ce que j’apprécie dans ce seinen, c’est son ton très actuel. Motorô Mase mêle des cas de conscience à des problèmes de société que l’on rencontre tous les jours. Les décisions prises par l’ensemble de la communauté, même si elles doivent être prises à l’unanimité, ne sont pas forcément exemptes de défaut. On se demande de plus en plus comment Mai pourrait être « l’être artificiel » par excellence, guidée comme elle l’est par des humains aux failles et aux vices si nombreux. Il n’y a qu’à voir le bashing dont les membres font preuve dès qu’il s‘agit de trouver un bouc émissaire à tous leurs problèmes. C’est révélateur. Bref, encore un très bon tome pour Demokratia !

Verdict : Avec les honneurs

rock

Stuart NADLER – Un été à Bluepoint

un été à bluepointDate de parution : 02/01/2015
Editions : Albin Michel
Collection : Les grandes traductions
ISBN : 978-2-226-31457-4
Nbr de pages : 422
Prix constaté : 22.90€

Résumé :
Devenu l’un des avocats les plus puissants et prospères des Etats-Unis, Arthur Wise achète une maison à Bluepoint, à l’extrémité de Cape Cod. Là, au cours de l’été 1952, Hilly, son fils de dix-sept ans, sympathise avec Lem Dawson, l’homme de couleur chargé de l’entretien de la maison. Bien que sensibles à la discrimination, les Wise sont juifs, et Arthur ne voit pas d’un bon oeil l’amitié de son fils avec un Noir.
Mais lorsque Hilly tombe amoureux de Savannah, la nièce de Dawson, les choses tournent rapidement au drame. La mort d’un homme et un lourd secret pèseront dorénavant sur le jeune homme et les relations, déjà difficiles, qu’il entretient avec son père. Des années plus tard, hanté par le souvenir de l’été qui a vu leurs vies voler en éclats, Hilly décide de se mettre en quête de Savannah qu’il n’a jamais revue, comme s’il voulait se racheter…
La culpabilité et les bonnes intentions lui suffiront-elles ? Quel peut bien être le prix du pardon ?

Impressions :
Avec « Un été à Bluepoint », Stuart Nadler entre dans le panthéon des auteurs de grande épopée américaine. De celles qui nous font partager une page de la petite Histoire, à travers la vie d’une famille de la classe moyenne qui voit sa destinée bouleversée par une soudaine accession à la richesse et à la célébrité, image des self-made men et d’une conjecture favorable. Dans le contexte des années 50 jusqu’à nos jours, ce sont les vies de parents et enfants qui nous sont contées, jusqu’à une terrible vérité, insoupçonnable, qui laisse le lecteur estomaqué. Bienvenue chez les Wise.

  La première partie de l’histoire nous raconte la montée fulgurante d’Arthur Wise, avocat charismatique qui saura tirer parti d’une opportunité et se faire un nom. Pour lui, être riche, c’est être dans la démesure. Nager dans le luxe, sans vraiment donner d’importance à ce que l’on acquière, si ce n’est pour s’en vanter à autrui. Son fils, Hilly, ne comprend pas cela et n’approuve pas le comportement de ses parents qui consomment à l’excès. Peu à peu, il se rend compte que son père n’est pas quelqu’un de bien, qu’il méprise à peu près tout le monde et qu’il est égocentrique. Son amitié avec un vieux noir qui leur fait office d’homme à tout faire puis avec sa nièce Savannah va lui ouvrir les yeux une bonne fois pour toute…

  La question de la fidélité filiale, du choix de penser par soi-même selon ses propres critères est un des thèmes soulevés. Se ranger du côté de son père, même si c’est un con fini est- il la chose à faire ? A quelles valeurs accorder de l’importance ? Peut-on vivre en se sachant responsable du malheur de quelqu’un ? Comment se défaire de la culpabilité ? Le roman s’interroge sur le racisme, sur le clivage riche/ pauvre, sur la notion de famille. Le Hilly adulte, rongé par la culpabilité, décide de rejeter tout ce qui lui vient de son père, bien décidé à ne plus se laisser dicter sa conduite par un père qui ne pense qu’à son autosatisfaction. Alors que l’on se fait une idée précise que de l’homme qu’a été Arthur Wise, la fin du roman fait voler tout cela en éclats. Un beau pied de nez de la part de Stuart Nadler, qui démontre ainsi tout son talent. A découvrir.

Verdict : Avec les honneurs

rock

Helen Walsh – Une famille anglaise

une-famille-anglaiseTitre original : Once Upon a Time in England (2008)
Traduit par : Cécile Chartres
Parution : 08/01/2014
Editions : J’ai Lu
ISBN : 978-2-290-04245-8
Nbr de pages : 539
Prix constaté : 8.40€

Résumé :
Par la nuit la plus froide de 1975, un jeune homme à la flamboyante tignasse rousse parcourt à toute allure les rues enneigées d’un quartier résidentiel de Warrington. Son nom est Robbie Fitzgerald, et il court pour sauver sa vie – et celle de sa famille. Dans cette ville rigide du nord de l’Angleterre, il a épousé Susheela, la belle infirmière qui a recousu ses blessures. Pour Robbie, sa femme est une princesse tamoule, mais dans la vie de tous les jours, les Fitzgerald doivent aussi faire face à l’intolérance, à la pauvreté, et à la haine de leurs voisins.

Impressions :
« Une famille anglaise » avait tout pour me plaire. Chronique familiale qui s’étire sur plusieurs décennies en débutant en plein cœur des années 70 en Angleterre, et qui brasse de nombreux problèmes sociaux : racisme, isolement, alcool, homophobie, etc. En bref, l’histoire d’une famille mixte dysfonctionnelle qui doit faire face à de nombreux drames et qui se relève tant bien que mal.

  Les premiers chapitres étaient très intenses et particulièrement bien construits. Helen Walsh joue sur un effet de contraste en nous présentant des personnages plein de fraicheur, aux yeux qui pétillent vers un avenir radieux fauchés par la haine et par un acte d’une grande violence. Pour vous dire, quand j’ai senti que le vent allait tourner, j’appréhendais de continuer et je l’ai même mis de côté pendant un temps.

  Mais passée cette partie-là, et malgré tous les bouleversements que la famille traverse, j’ai eu beaucoup de mal à m’assimiler à eux et à ressentir de l’empathie. Comme si l’auteur restait toujours un peu en retrait et que tout ce qui se passait glissait sur le lecteur, imperméable. Mis à part un sursaut de temps en temps. Au point que les parents, Robbie et Susheela, ont fini tous les deux par m’agacer à leur manière, par leurs choix et leurs réactions. Je crois que l’auteure n’a pas réussi à les rendre attachants, à nous faire ressentir leurs émotions, ce qui est dommage parce que c’était bien parti.

  Le contexte politique et social est bien représenté et bien intégré à l’histoire, ce qui est un plus. Entre la montée en puissance des suburbs, l’intolérance que déchainent les couples mixtes et les difficultés de la classe ouvrière, c’est toute une époque qui est passé au crible. Les jalousies et les petites perfidies entre femmes et voisins et le clivage ouvrier/patron est dépeint avec doigté. Le personnage de Vincent, le fils de la famille, a même réussi à me toucher par sa fragilité. Malheureusement, impossible de me défaire de cette distance qui fait que je n’ai pas su apprécier ce récit à sa juste valeur…

Verdict : Roulette russe

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Ivy POCHODA – L’autre côté des docks

l'autre-côté-des-docksTitre original : Visitation street (2012)
Edition : Liana Lévi
Paru le : 12/09/13
ISBN : 978-2-86746-691-5
Nbr de pages : 352
Prix constaté : 22€

Résumé :
June et Val, deux amies adolescentes, habitent à Brooklyn. Un soir d’été, elles vont s’aventurer sur les docks malfamés et décider de monter à bord d’un canot pour observer la ville depuis l’East River. Depuis la rive, un jeune Noir, Cree, voit qu’elles sont entraînées par les courants. Val sera retrouvée inconsciente le lendemain, mais June a disparu. Une enquête est ouverte.

Impressions :
Plutôt déçue par ce roman dont j’espérais autre chose. Je suis bon public quand il s’agit de littérature américaine avec ses laissés pour compte et sa pluriethnicité, ce qui était supposé être au cœur du roman de Ivy Pochoda. Si l’histoire n’est pas mauvaise dans l’absolu, la vérité étant plus simple (même si plus tordue) qu’il n’y parait, je n’ai pas été ébloui par le style de l’auteur ni par la narration à laquelle je n’ai pas adhéré. La manière qu’a l’auteur de sauter d’un personnage à un autre en prenant le train en cours de route, n’a pas réussi à retenir mon attention. Avec son mode de narration choral et ses détails de la vie dans un quartier multiculturel, on ne se fixe jamais vraiment sur un aspect particulier, ce qui donne l’impression d’un récit désordonné, sautillant, qui ne retient jamais complétement l’attention du lecteur.

  Bizarrement, on ne ressent pas d’empathie envers les divers personnages qui manquent de dynamisme, d’authenticité. On les sent loin, ce qui n’est pas censé être le cas, mais c’est comme ça que je l’ai ressenti. L’histoire nous plonge au cœur d’un drame et de ses retombées avec les suspicions dû à un climat de racisme ambiant. « L’autre côté des docks » pose certes des thématiques intéressantes d’un point de vue moral. Mais le style statique et froid, extérieur, et l’écriture détachée ne rend pas service à l’histoire. Il y avait pourtant du potentiel qui ne demandait qu’à être utilisé à bon escient. En tout cas, voilà un roman qui ne me laissera pas un souvenir impérissable…

Verdict : Planche de salut

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