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Syoichi TANAZONO – Sans aller à l’école, je suis devenu mangaka

sans aller à l'école je suis devenu mangakaTitre original : Gakkou E Ikenai Boku To 9nin ni Sensei (2015)
Date de parution : 25/02/2016
Editions : Akata
ISBN : 978-2-36-974106-0
Nbr de pages : 287
Prix constaté : 9.55€

Résumé :
Le jeune Masatomo aurait pu avoir une vie normale : jusqu’à son entrée à l’école primaire, il était en effet un petit garçon plutôt jovial. Mais hélas, en première année, et peu de temps après la rentrée, sa trop colérique enseignante lui donne un gifle particulièrement violente, et pas du tout justifiée. Dès lors, la spirale infernale commence pour Masatomo, qui n’ose plus retourner à l’école : peur du regard d’autrui et des rumeurs, incapacité à sortir de chez soi, difficultés d’intégration… Tous les ans, malgré les efforts de ses parents, mais aussi de nombreux professeurs et pédagogue, il n’arrivera jamais à suivre une scolarité « normale ». Préférant passer ses journées chez lui, à copier des dessins de Dragon Ball… Et si, au fil des pages, une vocation salvatrice était en train de naître ?

Impressions :
« Sans aller à l’école, je suis devenu mangaka » est un manga de genre social qui m’a profondément bouleversée. Ce titre très émouvant traite de la phobie scolaire et de l’exclusion que vit un enfant qui n’arrive pas à s’intégrer à sa classe. Les sentiments bouillonnants du narrateur qui se nourrit de son expérience nous frappent de plein fouet. Le fait que ce manga ne soit pas juste représentatif d’un problème de société mais belle et bien un récit autobiographique nous interpelle d’autant plus. On sent tout le réalisme, tout le vécu de Syoichi Tanazono qui a passé une enfance solitaire et on s’en émeut. Quel témoignage poignant !

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  Le Japon est réputé pour ses exclus. Hikikomori, bizutage extrême, choix d’une tête de turc, les enfants ne sont pas toujours tendres entre eux. Et la société qui essaye de couler toute une génération d’enfants dans le même moule, sans cesse en quête de performance et d’excellence, laisse peu de place aux élèves en difficulté, fragiles ou peu réceptifs à ce « conditionnement ». L’histoire de Masatomo est malheureuse. Suite à une gifle et à une humiliation devant ses camarades, le petit garçon se sent désemparé et se retrouve pris d’une terreur extrême dès qu’il s’approche de l’école. Le fait qu’il ne comprenne pas pourquoi on l’a traité si injustement ajouté à ses absences répétées ne va faire qu’accentuer sa crainte et son décrochage scolaire. C’est un cercle vicieux qui se met en place. Et seule sa passion pour le manga et l’amour de ses parents sauront lui redonner confiance en lui.

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  Si ce témoignage en lui-même est bouleversant, la mise en scène de Syoichi Tanazono, toute en simplicité et mettant l’accent sur les sentiments qu’il a éprouvé enfant, nous prend aux tripes. Le dégoût, le renoncement, la peur, puis enfin la joie quand il découvre l’univers des mangas et l’espoir lorsqu’il rencontre des gens prêts à l’aider, tout y est mis en exergue. Ce gros oneshot se dévore, le lecteur vibrant de concert avec Masatomo et priant dans l’attente d’un happy-end. On sent le propos sincère, sans fard, le mangaka nous montrant ses bons comme ses mauvais côtés. Le trait est tout en rondeur, sans surcharge, misant tout sur les différentes étapes qui ont fait du mangaka celui qu’il est aujourd’hui. Un sujet brûlant, traité avec pudeur, qui nous permet de voir un Japon moins idéalisé.

Verdict : Avec les honneurs

rock

Reiko MOMOCHI – Double Je, tome 5

double je 5Complet en 5 tomes
Titre original : Inochi, book 5 (2010)
Traduit par Chiharu Chûjo
Date de parution : 12 Novembre 2015
Editions : Akata
ISBN : 978-2-36-974082-7
Nbr de pages : 158
Prix constaté : 6.95€

Résumé :
Après plusieurs années de souffrances, Nobara est enfin sur le point d’obtenir sa vengeance. Tout est en place pour que son plan s’exécute et qu’enfin, elle obtienne justice et réparation. Et pour cela, elle est prête à tout, y compris à commettre l’irréparable. Mais au moment fatidique, sera-t-elle vraiment capable de laisser exploser son courroux ?

Impressions :
Clap de fin pour ce shôjo aux allures de thriller qui aura su me tenir en haleine tout au long de ses cinq tomes. Un final qui m’a plu parce qu’il évite l’écueil du parfait happy-end et qu’il montre que tout ne se passe pas forcément comme on le voudrait dans la vie. Pour autant, la boucle est bouclée et Reiko Momochi nous propose une vraie fin avec un flash-forward cinq ans plus tard pour nous montrer la lente reconstruction des personnages. Ma hantise était que ça se finisse en triomphe téléphoné, et heureusement ce ne fut pas le cas !

  Si nous avions tout découvert sur les raisons qui avaient poussé le meurtrier de Kotori à s’en prendre à elle, restait à dévoiler si celui-ci allait payer et si Nobara aurait sa vengeance. Les coups de théâtre s’enchainent jusqu’au verdict final, preuve que la mangaka avait planifié ce drame dans les moindres détails. Le dénouement est efficace, loin de la surenchère que l’on aurait pu présager au vu du genre du manga. Cela prouve, s’il en est encore besoin, qu’on peut faire un shôjo sans romance au premier plan…

  Nobara est une héroïne moderne, avec son lot de problèmes familiaux (plus nombreux que la moyenne bien sûr), mais qui sait garder la tête froide quand il le faut. J’ai aimé la façon dont elle prend son destin en mains, sans se reposer sur les autres, même à la toute fin alors que Yûwa lui en offre l’opportunité. Malgré des moments de doute et de désespoir, elle garde toujours à l’esprit sa sœur décédée et ne renonce jamais. C’est un personnage fort, loin des rôles de boulet dans lequel on cantonnait certaines héroïnes shôjos, fut un temps. (Bon OK, ça arrive encore maintenant). Mais je trouve qu’il y a une vraie évolution dans le genre, qui se diversifie pas mal ces derniers temps. Akata l’a bien compris avec la publication de « Double Je » ou encore « d’Orange ».

  Bref, je ne peux que vous conseiller ce manga complet en cinq tomes. Riche en émotions, fleurant avec le polar et le drame social, « Double Je » saura plaire aux amatrices de shôjo qui veulent plus qu’une simple romance pour toute intrigue.

Verdict : Avec les honneurs

rock

Sarah WATERS – Derrière la porte

derrière la porteTitre original : The paying guests (2014)
Traduit par : Alain Defossé
Paru le : 17 avril 2015
Editions : Denoël
Collection : & d’ailleurs
ISBN : 978-2-207-11896-2
Nbr de pages : 700
Prix constaté : 24.90€

Résumé :
Angleterre, 1922. La guerre a laissé un monde sans hommes. Frances, vingt-six ans, promise à un avenir de vieille fille revêche, habite une grande maison dans une banlieue paisible de Londres avec sa mère. Pour payer leurs dettes, elles doivent sous-louer un étage. L’arrivée de Lilian et de Leonard Barber, tout juste mariés, va bousculer leurs habitudes mais aussi leur sens des convenances. Frances découvre, inquiète et fascinée, le mode de vie des nouveaux arrivants : rires, éclats de voix, musique du gramophone fusent à tous les étages. Une relation inattendue entre Frances et Lilian va bouleverser l’harmonie qui régnait dans la maison…

Impressions :
Sarah Waters est une auteure qui m’avait beaucoup marqué avec son roman « Du bout des doigts » il y a quelques années. Elle récidive aujourd’hui avec « Derrière la porte », qui reprend les mêmes ingrédients qui m’avaient tant plu précédemment : un mélange de thriller et d’analyse de mœurs, ici à l’époque de l’après-guerre (celle de la première guerre mondiale). L’auteure nage en plus à contre-courant puisque son héroïne est gay et doit vivre son homosexualité à une époque encore très opaque où celle-ci est même signe de folie. C’est donc un roman qui se joue des codes du classicisme britannique, Sarah Waters usant d’une narration caractéristique de l’époque édouardienne, avec une prose dense (parfois un peu trop verbeuse) mais bien ancrée dans son époque après-guerre avec ses nombreuses considérations historiques.

  Le récit bien que long (un bon gros 700 pages) est aussi substantiel et explore d’intéressantes thématiques telles que la place des femmes dans ce monde d’après-guerre, la fin de la petite bourgeoisie, l’évolution industrielle qui se profile et surtout un remaniement de la famille traditionnelle maintenant que les femmes ont pris goût au travail et que de nombreux hommes sont morts à la guerre. J’ai vraiment apprécié la part historique du roman avec ses réflexions sur le féminisme, le progrès et la fin d’une époque dorée pour les rentiers. Fini le petit personnel prêt à exécuter la moindre tâche ingrate, il faut dorénavant mettre la main à la pâte et récurer soi-même les sols, faire la cuisine, les courses, etc. Il est amusant de constater que c’est encore et toujours les apparences qui comptent, avec ce souci constant de ce que vont penser les voisins et amis de cette chute de rang social. On en ressort avec l’impression que le regard des autres est un boulet duquel on ne peut se défaire, peu importe l’époque.

  Au-delà de cette analyse des mœurs d’une époque, Sarah Waters livre également un drame sensuel et fascinant, le portrait de deux femmes très différentes mais qui se complètent. Et la plus moderne des deux n’est pas forcément celle que l’on croit. Frances, la narratrice du roman, est l’archétype de la vieille fille qui vit avec sa mère et s’occupe de toutes les tâches domestiques, mettant de côté tout espoir d’émancipation. Lilian est une femme mariée, bohème et oisive mais qui fait figure de femme indépendante. Petit à petit, en grattant la première couche de peinture, on se rend compte que Frances n’est pas si transparente que ça, et a vécu à une époque une passion interdite, plus insouciante des apparences que jamais. Lilian, quant à elle, n’est pas aussi frivole qu’elle le parait et son mariage n’a rien d’idyllique non plus. Leurs histoires respectives, livrées avec mesure, laissent peu à peu la place à une passion dévorante et un drame dévastateur. Le récit nous plonge alors dans une spirale de malheurs, avec son lot de situations insupportables et de décisions sans espoir de rédemption. Une peinture des mœurs corrosive, où tout est question de convenance et qui nous habite longtemps.

Verdict : Avec les honneurs

rock