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Sylvie GERMAIN – A la table des hommes

à la table des hommesDate de parution : 04/01/2016
Editions : Albin Michel
ISBN : 978-2226322739
Nbr de pages : 272
Prix constaté : 19.80€

Résumé :
Son obscure naissance au coeur d’une forêt en pleine guerre civile a fait de lui un enfant sauvage qui ne connaît rien des conduites humaines. S’il découvre peu à peu leur complexité, à commencer par celle du langage, il garde toujours en lui un lien intime et pénétrant avec la nature et l’espèce animale, dont une corneille qui l’accompagne depuis l’origine.

Impressions :
« A la table des hommes » est un récit métaphorique et cruel sur les affres de la guerre et sur le rapport de l’homme avec la nature. Quand les bombes pleuvent et détruisent tout sur leur passage, la terre nourricière se retrouve ravagée, brûlée et aussi stérile que cette mère qui vient de tout perdre en une déflagration. La narration aérienne et poétique, nous fait suivre les survivants de l’attaque du début du roman, et c’est ainsi tout naturellement que l’on accompagne cette mère puis le porcelet qu’elle arrache des décombres. Vient aussi une biche puis un petit garçon déboussolé, celui dont nous allons suivre l’histoire jusqu’à l’âge mur. Le procédé mis en place est vraiment ingénieux et livre de magnifiques passages, tantôt cruels, tantôt bienveillants.

  Bien que l’on puisse parfois trouver cette histoire étrange, le réel se disputant avec la fantasmagorie, l’écriture poétique de Sylvie Germain nous porte et nous transporte dans un voyage hors du commun. Sorte de fable philosophique, le récit cache en son sein de nombreux messages qu’il faut se donner la peine de creuser. La stupidité des guerres, la destruction de la nature sauvage, la solitude de l’Homme, le rejet de tout ce qui est différent, qui ne rentre pas dans un moule… L’histoire de Babel/Abel, c’est le récit initiatique d’un être nouveau qui découvre le monde qui l’entoure avec toute l’innocence d’un enfant. L’émerveillement, l’effarement, la peur et toutes les découvertes qui accompagnent le passage à l’âge adulte. La découverte du langage, de son corps, de la différence entre humains et animaux, entre ce qui est bien ou mal. Il y a un petit quelque chose des fables anthropomorphiques de La Fontaine dans « A la table des hommes ».

  Si la première partie du roman m’a emballée, la seconde beaucoup moins. On laisse de côté la poésie et le côté parabole pour s’intéresser à l’entourage d’Abel et à ses interactions avec d’autres êtres marginaux comme lui. Petit à petit, ce dernier se « socialise » et se nourrit de leur savoir. Sans pour autant renier son côté sauvage et proche de la nature. Ce qui est un peu dommage, c’est que je n’ai pas vraiment apprécié les personnages secondaires. Ils restent un peu en retrait, comme s’ils n’étaient là que pour transmettre quelque chose à Abel (ce qui le cas d’ailleurs), comme des figurants sur lesquels on ne s’attarde pas trop. Dommage, car on s’emmêle un peu les pinceaux entre petite histoire et conte philosophique. Peut-être aurait-il fallu trancher. Une agréable découverte néanmoins et une très belle plume à n’en pas douter !

Verdict : Bonne pioche

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Michael F. SMITH – Une pluie sans fin

une pluie sans finTitre original : Rivers (2013)
Date de parution : 07/05/2015
Editions : Super 8
ISBN : 978-2-37056-025-4
Nb. de pages : 439
Prix constaté : 20€

Résumé :
Après des années de catastrophes écologiques, le sud des États-Unis, de la Louisiane à la Floride, est devenu un véritable no man’s land. Plutôt que de reconstruire sans cesse, le gouvernement a tracé une frontière et ordonné l’évacuation de la zone. Au sud de la Ligne se trouve désormais une zone de non-droit ravagée par les tempêtes et les intempéries incessantes – sans électricité, sans ressources et sans lois.
Cohen fait partie des rares hommes qui ont choisi de rester. Incapable de surmonter la mort de sa femme et de l’enfant qu’elle portait, il tente tant bien que mal de redonner un sens à sa vie, errant sous une pluie sans fin. Des circonstances imprévues vont le mettre en présence d’une colonie de survivants, menée par Aggie, un prêcheur fanatique hanté par des visions mystiques. Celui-ci retenant contre leur gré des femmes et des enfants, Cohen va les libérer et tenter de leur faire franchir la Ligne. Commence alors un dangereux périple à travers un paysage désolé, avec pour fin l’espoir d’une humanité peut-être retrouvée.

Impressions :
Un roman présenté comme un croisement entre Mad Max 2 et La Route, il n’en fallait pas plus pour titiller ma curiosité et me donner envie de découvrir ce nouveau post-apo publié chez Super 8. S’il y a bien quelques similitudes avec le roman de McCarthy, on est loin d’un Mad Max, la présence de pillards n’étant pas une raison suffisante pour y trouver une quelconque ressemblance. Bien que le postulat de départ soit plutôt intéressant – tout le territoire Sud des Etats-Unis inondé par des eaux diluviennes, proie de conditions météorologiques catastrophiques qui coupent le pays en deux – j’ai trouvé l’ensemble plutôt ennuyeux. La faute à un personnage principal trop dans l’introspection, qui se perd dans ses souvenirs et que je n’ai pas trouvé très altruiste au final (malgré ce qui est dit dans la 4ème de couverture, ce n’est pas lui qui délivre ces femmes).

  Ce qui faisait le charme de « La route », c’était cette écriture morcelée, le héros étant brisé moralement, divaguant dans un monde oppressant, responsable de la vie de son fils. Dans « Une pluie sans fin », le héros vit avec ses souvenirs d’un monde stable, de sa famille disparue qu’il essaie de garder en vie en tenant ses promesses, coûte que coûte. Mais loin de trouver de la noblesse dans son comportement, il m’a surtout semblé atavique, replié sur lui-même et j’avoue qu’il m’a plus agacée qu’autre chose. En fait, je crois que c’est l’ensemble des personnages qui ne m’ont pas plu, je n’ai pas réussi à m’y attacher, du coup ce qui leur arrive m’a laissé de marbre. Je n’ai pas compris l’intérêt qu’ils portaient à ce magot enfoui alors que le monde se disloque et que la loi du talion règne. Quand on doit fuir la colère de la Terre sans trouver la moindre commodité, ses proches disparus, le danger régnant à chaque coin de rue, le fric ne me semble pas de la plus haute importance…

  Du coup, j’ai trouvé le roman matérialiste, un brin sexiste (les femmes ne sont bonnes qu’à enfanter et à servir d’esclaves sexuelles) et l’aspect post-apo est plutôt mal exploité au final. Certains personnages disparaissent sans qu’on s’en inquiète plus et la fin m’a paru convenue, l’auteur faisant dans la facilité. Ce qui est dommage car « Une pluie sans fin » possède des passages prenant, les descriptions de cet univers apocalyptique étant bien rendues. On sent le vent siffler à nos oreilles, la terre vibrer sous nos pieds et la fin approcher à petits pas. Si Michael F. Smith avait plus joué avec son univers, le roman aurait pu être grandiose. Mais là, j’ai l’impression qu’il a oublié l’intérêt premier du récit et a essayé de contenter tout le monde (l’avenir ce sont les enfants mais le fric c’est important). OK…

Verdict : Planche de salut

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Charles FRAZIER – A l’orée de la nuit

à l'orée de la nuitTitre original : Nightwoods (2011)
Traduit par : Brice Matthieussent
Editions : Grasset
Date de parution : 03/09/2014
ISBN : 978-2-246-80242-6
Nbr de pages : 383
Prix constaté : 20.90€

Résumé :
Dans l’Amérique des Sixties, au fin fond des Appalaches où elle vit retranchée, loin des soubresauts du monde, Luce, jeune femme farouche et indépendante, se voit confier la charge des jumeaux de sa sœur défunte. Ayant vu leur père, Bud, une brute épaisse, assassiner leur mère, les orphelins traumatisés se sont réfugiés dans un mutisme inquiétant, où sourd une violence prête à exploser à tout moment. Patiemment, Luce va tenter de réapprendre la vie à ces deux écorchés vifs, et elle-même de reprendre goût à l’amour et à la compagnie des hommes. À celle, en particulier, de Stubblefield, nouveau propriétaire des terres où elle s’est établie. Mais leur idylle est menacée par le retour de Bud, blanchi du meurtre de sa femme et bien décidé à retrouver le magot que les deux enfants, croit-il, lui ont volé.

Impressions :
Vous ne connaissez peut être pas Charles Frazier mais pourtant on lui doit le roman qui a servi d’adaptation pour le film « Retour à Cold Mountain » avec Nicole Kidman. Décrit comme l’un des grands romanciers des espaces américains, il est indéniable que l’auteur connait très bien la nature et sait comme la sublimer. « A l’orée de la nuit » qui se pose comme le récit de personnages malmenés par la vie est aussi une ode à cette même nature, qui sert ici de refuge pour ces laissés pour compte. L’auteur semble recommander un retour aux sources, une hygiène de vie au plus près de la nature. Se balader en forêt, faire pousser ses propres légumes, élever des poulets et ne pas se laisser enrôler dans un train de vie matérialiste. Pour se faire, il nous décrit le quotidien de Luce, jeune femme vivant au fin fond des Appalaches au milieu des années 60. Suite au meurtre de sa sœur, elle se retrouve avec ses deux enfants sur les bras et se laisse vite dépasser. A sa décharge, ses neveux et nièces ne sont pas des plus équilibrés. Elle les soupçonne d’avoir assisté au meurtre de leur mère, assassinée par leur beau-père. Comment réussir à les faire sortir de leurs coquilles ? A les apaiser ? Qu’est-ce que c’est que le rôle d’une mère ? Luce devra faire montre de patience et de détermination pour dompter les deux enfants…

  Pas vraiment thriller ni vraiment western comme j’ai pu le lire, « A l’orée de la nuit » est un hymne à la nature sauvage et à la reconstruction. Tous les personnages sont des paumés, qui ont souffert à un moment ou à autre et se sont retranchés sur eux-mêmes, laissant un vide dans leur entourage. Si Dolores et Franck, les neveux de Luce, ressemblent plus à de petits animaux sauvages qu’à des enfants, leur tante n’est pas un modèle d’équilibre non plus. Suite à un drame qu’elle a réprimé de toutes ses forces, elle s’est créé une façade que la venue des enfants commence à fissurer. Elle se pose plein de questions sur la notion de famille, d’amour et de responsabilité. Au final, c’est vers la nature qu’elle se tourne pour tenter de guérir Dolores et Franck. Les deux enfants mutiques, qui semblent trouver un plaisir malsain dans le feu et ont déjà décapité deux poulets, commencent à s’apaiser au contact d’une petit jument et lorsqu’ils se promènent en forêt. Luce leur dispense des leçons de vie : comment récolter les légumes, savoir reconnaitre certaines plantes, le plaisir du travail bien fait. Des choses simples qui leur permettent de vivre l’instant présent. Luce s’adoucit et la vie reprend son cours… Du moins pendant un temps car à une centaine de kilomètres de là, Bud le meurtrier de sa sœur est relâché et blanchi de tous soupçons. Et il semble bien décidé à retrouver les enfants.

  Le roman se fait alors double car au lieu de se concentrer sur Luce et sa nouvelle vie, Charles Frazier donne aussi voix à Bud et à ses errances de marginal. On entre dans sa tête, voit à travers ses yeux et comprend ce qui le motive. Bien que détestable, on se rend compte que Bud ne réagit que par instinct et n’essaie pas d’analyser ses propres faits et gestes. Il agit avant de penser et ne s’encombre pas de remords. C’est marche ou crève. C’est un individu primaire, qui ne semble pas capable d’empathie. L’argent facile semble régir sa vie. Bref, on sent que tout l’oppose à Luce et que leur affrontement ne pourra pas bien se finir. Charles Frazier est vraiment très doué quand il s’agit de percer la psyché de ses personnages. Ceux-ci sont denses, torturés et ne laissent pas indifférent. La beauté côtoie la noirceur, la simplicité la vénalité. L’auteur mène son récit de main de maitre. Sa plume est généreuse, imagée et offre de très beaux passages. Un très bon roman de cette rentrée littéraire.

Verdict : Nuit blanche

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Etienne GUEREAU – Le Clan suspendu

le clan suspenduDate de parution : 21/08/2014
Editions : Denöel
ISBN : 978-2-207-11810-8
Nbr de pages : 446
Prix constaté : 20€

Résumé :
Un clan haut perché dans les bois. Un ennemi étrange. Seule une jeune fille osera désobéir afin d’échapper à son destin. Ismène vit parmi les siens, dans un village accroché à dix mètres de hauteur. Tous pratiquent des rites immuables et répètent inlassablement Antigone, la tragédie qu’il leur faut connaître sur le bout des doigts. Descendre leur est interdit, car en bas une créature sanguinaire massacre ceux qui s’aventurent sur son territoire… Quand le jeune Hémon décide de contester l’ordre établi, tout bascule. Pour fuir cet univers oppressant et comprendre le sens profond de la tradition qui leur a été inculquée, Ismène va devoir percer le secret qui menace son clan.

Impressions :
Atypique mais pourtant classique, voilà comment on pourrait qualifier le premier roman d’Etienne Guéreau. Si le roman emprunte à la tragédie de Sophocle pour nommer ses personnages et leur glisser des règles de vie, l’histoire de ce clan suspendu n’a finalement pas grand-chose à voir avec Antigone (ne fuyez donc pas, vous qui n’appréciez pas le théâtre classique !). Les références se trouveront plutôt du côté cinématographique, avec le film « Le village » de Night Shyamalan notamment. L’histoire d’un petit groupe d’êtres humains qui s’est retranché dans la forêt et a effectué un retour à la nature, avec comme garde-fou un monstre sanguinaire qui viendrait attaquer tout habitant assez fou pour vouloir s’aventurer hors du village… Ça vous dit quelque chose ?

  Si le roman est de facture classique et que les évènements suivent une logique entendue, j’avoue avoir été bluffée par la construction du récit et par l’aisance d’Etienne Guéreau à mener son intrigue. Les chapitres sont courts, concis, la plume dynamique. On entre de plain-pied dans ce petit clan retranché au beau milieu des arbres et on se passionne vite par leur façon de vivre. Malgré les noms pompeux de ses personnages (Ismène, Hémon, Polynice,etc.) et les étranges coutumes auxquelles ils se livrent (l’occulte salut Letwyn Tahouer), l’histoire reste très accessible et brasse de nombreux sujets. Entre les dérives possibles d’une utopie basée sur le mensonge, les dangers d’une tradition incomprise et le péril que représente une éducation imparfaite, il y a largement de quoi faire réfléchir le lecteur.

  « Le clan suspendu » est un roman oppressant et prenant qui se lit d’une traite. Cette espèce de huis-clos qui s’installe et qui nous place dans le rôle de la jeune héroïne tragique qu’est Ismène n’est pas de tout repos. Si sa jeunesse choque face à la façon dont elle est perçue par certains hommes (n’oublions pas qu’elle n’a que douze ans), force est de constater qu’elle est le seul personnage du roman à se montrer réfléchi, la seule qui n’hésitera pas à confronter son monde face aux aberrations qu’elle découvre. Les personnages secondaires, adultes comme enfants, m’ont tous semblé détestables. Des adultes laxistes qui préfèrent fermer les yeux plutôt que se prendre en main et des enfants qui se laissent manipuler par les délires d’un ado en mal d’attention. Attention, « sa majesté des mouches » n’est pas loin. Si la trame suit une certaine linéarité et que la fin ne nous étonne pas plus que ça, l’auteur mène bien sa barque et lève le voile sur toutes les petites bizarreries rencontrées. Bref, un roman étrange et efficace et un premier roman réussi pour Etienne Guéreau.

Verdict : Avec les honneurs

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