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Hiroaki SAMURA – Snegurochka

snegurochkaTitre original : Harukaze no Sunegurachika (2014)
Date de parution : 17/02/2016
Editions : Casterman
Collection : Sakka
Nbr de pages : 240
Prix constaté : 12.95€

Résumé :
En URSS, à la fin des années 1930. Belka, une jeune fille handicapée, et Shchenok son domestique, s’installent dans une datcha gérée par le parti communiste. Ils sont en quête d’un mystérieux objet. Un jour, ils sont arrêtés et envoyés dans un camp de travail. Mais Shchenok, hémophile, s’épuise. Belka découvre qu’elle peut le soigner grâce à un don qu’elle aurait hérité de son père, Raspoutine.

Impressions :
Hiroaki Samura, qui a connu le succès grâce à « L’habitant de l’infini », un seinen fantastique se déroulant à l’époque des samouraïs, nous revient chez Casterman avec un oneshot. « Snegurochka » est un thriller politique du plus bel acabit, complexe et à l’ambiance parfaitement maitrisée. Si un bagage historique de la période stalinienne est un petit plus pour le lecteur se glissant entre les pages de Snegurochka, le mangaka a pensé à insérer dans sa postface quelques clés pour mieux comprendre la portée de son œuvre. Ce manga historique pourra ainsi plaire même aux non-initiés du genre, qui chercheraient quelque chose de plus mature et de plus réaliste que le manga-divertissement.

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  « Snegurochka » nous plonge dans une URSS en proie au totalitarisme de Staline, après la dissolution de l’aristocratie, massacrée ou envoyée dans des camps de travaux forcés. De nos deux héros, nous ne savons presque rien. Quelles sont leurs motivations ? Qui sont-ils réellement ? Pourquoi veulent-ils à tout prix pénétrer dans cette datcha ? Nous découvrons tout cela petit à petit, à l’aide de non-dits et de rencontres essentielles à la compréhension d’une histoire trouble. Belka et Shchenok, nos héros, sont tous deux très mystérieux. Leur relation est ambiguë, qui est le maitre et le servant, on ne le comprend pas toujours, tous deux n’ayant pas l’air de le savoir eux-mêmes à certains moments. Entre une Belka en fauteuil roulant et un Shchenok en proie à des crises dont seule la jeune femme semble pouvoir le tirer à l’aide d’un drôle de gant, le mystère plane.

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  Ce oneshot de plus de 200 pages se révèle passionnant. Que ce soient les personnages, le contexte, les décors, tout est travaillé dans les moindres détails. La narration, qui se nourrit de quelques flash-backs nous aidant à comprendre l’intrigue, est brillamment exécutée. Le graphisme est brut, cru et franchement inspiré. Les planches fourmillent de détails, les coups de crayon, nombreux, sont adoucis par un trait très fin, les personnages affichant des expressions très réalistes. On est bluffé par la maitrise du trait, par les émotions véhiculées par les différents visages et postures. C’est élégant et saisissant. Bref, une réussite en tous points.

Verdict : Avec les honneurs

rock

Eiji OTSUKA & Seira NISHIKAWA – Mishima Boys, coup d’état, tome 1

mishima boys 1Titre original : Unlucky Young Men Coup d’État, book 1 (2015)
Date de parution : 28/01/2016
Editions : Akata
ISBN : 2369740973
Prix constaté : 16.50€

Un extrait ici !

Résumé :
K., M., Y. … Trois lettres, pour trois garçons.
Qui sont-ils ? Quels projets fomentent-ils ? Et surtout, quel étrange lien les relie à Yukio Mishima, écrivain nationaliste mondialement connu ayant vécu au tournant d’une époque dramatique du pays en prônant un retour aux valeurs traditionnelles du Japon ? Dans un après-guerre tourmenté, alors que le Japon s’ouvre trop vite au capitalisme et à l’Occident, voici un portrait complexe et désabusé de jeunes gens égarés dans une société en perdition…

Impressions :
Ce premier tome du dyptique de « Mishima Boys » est plutôt singulier dans le genre. Bien que largement classé dans le seinen, ce manga n’a rien à voir avec la production habituelle. Pour commencer, l’histoire s’inspire de faits réels et se propose de revisiter un Japon d’après-guerre fortement chamboulé par tous les changements survenus, plus particulièrement chez la classe estudiantine. Un souffle de révolte et de transgression se fait alors sentir et trois cas particulièrement choquants bouleverseront le pays tout entier.

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  En partie historique et foncièrement social, Mishima Boys est surtout un manga transgenre, une expérience réalisée par l’esprit un tantinet tordu d’Eiji Otsuka (à qui l’on doit le génialissime MPD Psycho et d’autres sanglantes joyeusetés) et saisie par le trait de Seira Nishikawa, une nouvelle dans le genre (chose que l’on ne remarque absolument pas tant le dessin est maitrisé et frôle la perfection). Comme il nous est confié en début de volume, ce manga regroupe trois événements clés qui montrent l’état d’esprit d’une époque et d’une jeunesse en proie au malaise et en perte d’identité. Les trois récits s’imbriquent les uns dans les autres pour mieux nous perdre, et c’est voulu. A nous de poser des questions et d’essayer de restituer qui a fait quoi…

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  Confus de prime abord, ce premier tome de Mishima Boys nécessite plusieurs relectures pour saisir pleinement tous les tenants et aboutissants de l’histoire. Le manga est construit selon différents codes empruntés pour certains au cinéma, pour d’autres au théâtre nô, ce qui donne un aspect « présentation » avec son narrateur présent physiquement dans chaque scène révélatrice pour mieux accompagner les personnages. Pour le lecteur, ce procédé parait flou, voire hasardeux, surtout que l’on ne connait rien des affaires qui nous sont présentées. Pour autant, une fois que l’on se laisse emporter par la brillante construction d’Eiji Otsuka, on ne peut que s’incliner devant tant d’inventivité et d’audace.

  Graphiquement parlant, c’est magnifique. L’édition est de grande qualité. Couverture cartonnée, papier glacé, contrastes très marqués qui font honneur au style très réaliste de Seira Nishikawa. La mise en page navigue entre flous, zooms et plans larges, le tout oscillant entre voyeurisme et dynamisme. La folie et l’ennui transpirent des pages, avec ses regards perdus dans le vague et ses visages vides ou grotesques qui déshumanisent l’entourage des personnages principaux. L’intrigue (principalement celle de l’étudiant coréen) est révoltante et montre bien l’état d’esprit des jeunes d’alors. Perdus, en colère, désœuvrés… Un manga à lire sur plusieurs niveaux.

Verdict : Avec les honneurs

rock

Franck FERRIC – Trois oboles pour Charon

trois oboles pour charonIllustration de couverture : Bastin Lecouffe Deharme
Editions : Denoël
Collection : Lunes d’encre
Date de parution : 16/10/2014
ISBN : 978-2-207-11731-6
Nbr de pages : 301
Prix constaté : 20.50€

Résumé :
Pour avoir offensé les dieux et refusé d’endurer sa simple vie de mortel, Sisyphe est condamné à perpétuellement subir ce qu’il a cherché à fuir : l’absurdité de l’existence et les vicissitudes de l’Humanité. Rendu amnésique par les mauvais tours de Charon – le Passeur des Enfers qui lui refuse le repos -, Sisyphe traverse les âges du monde, auquel il ne comprend rien, fuyant la guerre qui finit toujours par le rattraper, tandis que les dieux s’effacent du ciel et que le sens même de sa malédiction disparaît avec eux. Dans une ambiance proche du premier Highlander de Russel Malcahy, Trois oboles pour Charon nous fait traverser l’Histoire, des racines mythologiques de l’Europe jusqu’à la fin du monde, en compagnie du seul mortel qui ait jamais dupé les dieux.

Impressions :
Un roman qui revisite un des plus grands mythes grecs, il n’en fallait pas plus pour me tenter ! Sans compter que Franck Ferric est un auteur français dont j’ai entendu le plus grand bien. Malheureusement, mon avis final s’avère très mitigé car si la plume est magnifique et très recherchée, j’ai trouvé le récit un peu trop répétitif et trop « guerrier » à mon goût. J’apprécie les batailles épiques que l’on trouve couramment dans les romans fantasy mais là cet aspect occupe tout le roman qui n’est qu’une succession de combats à travers les âges. Si on apprécie au début cette mise en scène qui marque l’ineptie de la vie et de ses guerres, force est de constater que l’on finit par se lasser de cet emphase.

  Certes, « Trois oboles pour Charon » n’offre pas qu’un cortège de combats. Le contexte mythologique et historique ainsi que le message sous-jacent sont rondement menés. J’ai beaucoup aimé la manière dont Franck Ferric repense le mythe de Sisyphe, éternellement condamné à rouler un rocher le long d’une pente ascendante. Ici, sa punition perd une autre tournure et Sisyphe se voit condamné à mourir et revenir ad vitam eternam à la vie sans aucun souvenir de son passé, de sa punition et même de son nom. Il livre ainsi des combats perdus d’avance qui le font revenir à chaque fois au même point : devant Charon, le passeur de l’Au-delà. Les scènes entre Charon et Sisyphe sont les plus prenantes du roman. Car la semi relation qui se tisse entre les deux nous fait douter de la justice divine et du vrai châtié de l’histoire. Si on n’apprécie au final ni l’un ni l’autre des deux personnages centraux, il faut avouer qu’ils ne nous laissent pas indifférent.

  La narration qui passe d’une époque à l’autre en passant par des interludes qui renvoie le héros au point de départ m’a paru un peu abrupte. Si le procédé permet de nous mettre à la place de Sisyphe, dans le même état d’esprit que lui, confus et las, il n’aide pas beaucoup le lecteur à se mettre dans le bain. J’ai eu du mal à lire le roman de manière suivie, je me suis vu obligée de faire de nombreuses pauses et de lire par petites cessions. La plume particulièrement érudite n’est pas pour alléger la lecture. « Trois oboles pour Charon » est un roman exigeant, ambitieux qui demande de la concentration. Franck Ferric a un don pour manier les mots qui rend le texte vivant et sophistiqué, peut-être un peu trop. Un auteur qui me laisse avec une impression positive tout de même et que je re-testerai à l’occasion !

Verdict : Roulette russe

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Rupert THOMSON – Noces de cire

noces de cireTitre original : Secrecy (2013)
Traduit par : Sophie Aslanides
Paru le : 09/10/2014
Editions : Denoël
Collection : & d’ailleurs
ISBn : 978-2-207-11698-2
Nbr de pages : 391
Prix constaté : 22.50€

Résumé :
Florence, 1691. Zummo est un sculpteur de génie qui crée des statues de cire si délicates qu’elles semblent avoir pris vie. Il a fui sa Sicile natale pour trouver refuge dans une ville vérolée par la corruption, aveuglée par l’austérité, où les citoyens les plus riches assouvissent leurs désirs les plus pervers. Convoqué par le grand-duc qui lui a commandé une Vénus de cire grandeur nature, Zummo parcourt les ruelles labyrinthiques à la recherche d’une femme suffisamment parfaite pour servir de modèle. Mais la Toscane regorge de secrets et de dangers. La torture et les exécutions vont bon train, et, lorsqu’on trouve le cadavre d’une jeune femme sur les bords de l’Arno, le sculpteur commence à croire que le vice prend sa source à la cour des Médicis. Tout en poursuivant sa création, essayant d’insuffler la vie à sa Vénus de cire, il se demande si cette femme parfaite va le mener à son salut ou à sa perte.

Impressions :
Avec « Noces de cire », Rupert Thomson signe un récit multiforme qui mêle Histoire, romance et secrets de famille habilement. Bien que le roman s’ancre dans une époque réaliste avec l’apparition de personnages historiques, l’histoire est romancée et ne cherche pas à tout prix à coller à une vérité historique. On aurait donc tort de le classer dans le genre Historique car l’époque sert surtout à installer une ambiance particulière. Imaginez Florence à la fin du 17ème avec ses bâtiments majestueux, sa noblesse et ses intrigues, ses marchés et sa profusion d’odeurs et de couleurs et surtout ses lois cruelles où la torture est toujours de mise.

  La représentation de cette époque florentine est extrêmement bien rendue, on se retrouve vite pris par les balades de Zummo qui passe d’un quartier à un autre et côtoie les nantis comme les plus pauvres. Son art qui allie le glauque à la beauté horrifie comme il fascine. Que ce soit par le maniement de la cire, l’application de nouvelles techniques ou son usage quelque peu morbide du corps humain, Zummo est un artiste inspiré qui ne laisse pas indifférent. La passion qui le lie à Faustina et son passé trouble achève de nous le rendre attachant. La narration à la première personne du singulier permet une proximité avec l’artiste qui fait de nous son confident, son confesseur en quelque sorte.

  C’est donc avec un certain naturel que le narrateur se décharge de son passé. Mais toujours à demi-mots, comme si la pudeur l’empêchait de se livrer totalement ou comme si la vérité était trop douloureuse à exposer. J’ai beaucoup apprécié cette manière qu’a Rupert Thomson de suggérer plus qu’il ne dit, comme si c’était au lecteur de faire l’autre moitié du chemin. On pourrait croire qu’il nous laisse délibérément dans le vague mais c’est pour mieux nous laisser interpréter les rumeurs à notre manière. A nous de faire la part entre rêve et réalité. Voilà un procédé ingénieux.

  Les personnages secondaires ne jouent pas de simples rôles de figurants. Autour de Zummo gravite les profiteurs, les amis comme les jaloux avec qui il devra redoubler de prudence. La cour de Florence est un endroit dangereux pour un artiste indépendant qui se moque des allégeances. L’histoire personnelle de Zummo est émouvante. Sa rencontre prédestinée avec Faustina et le dénouement – inévitable – du récit sont rondement menés. Dommage que la narration se perde un peu entre passé et présent au tout début du récit, on peut vite perdre le fil. Un beau roman, au style agréable.

Verdict : Bonne pioche

bonne-pioche

Céline LANDRESSIE – Rose Morte, tome 1 : La Floraison

rose-morte-1Paru le : 03/04/2012
Edition : L’Homme sans nom
ISBN : 978-2-918541-04-2
Nbr de pages : 480
Prix constaté : 19.90€

Résumé :
C’est dans ce pays en proie à de terribles dissensions religieuses que se réfugient les Greer, fuyant l’Angleterre élisabéthaine. Eileen, seule enfant du comte, est une jeune femme vive et au caractère bien tranché. Mais son âge avance, et son père la met au pied du mur : elle doit se marier. Et c’est en faisant tout pour se soustraire à cette obligation, avec l’aide de sa fidèle amie Charlotte, que Rose fera la connaissance d’Artus de Janlys.
Le séduisant et mystérieux comte l’entraînera dans un univers dont elle ne soupçonnait pas l’existence, où les crimes terribles qui secouent Paris trouveront une explication apparemment inconcevable, mais bel et bien réelle…

Impressions :
Après avoir enchainé des romans de SFFF, des thrillers et autres romans contemporains, comme il est plaisant de goûter au style d’antan de Céline Landressie. Ce premier tome de Rose-Morte nous fait voyager dans le temps, entreprenant un retour à la fin du XVIème siècle, à une époque tumultueuse pour la France (à cause de ses infortunées guerres de religion). L’époque est parfaitement rendue, avec son contexte historique, ses mœurs et son langage fleuri. Langage que l’auteure manie avec dextérité, en faisant preuve d’une aisance certaine, ce qui n’est pas donné à tout le monde vu que l’exercice peut vite finir en eau de boudin (en paraissant pompeux ou lourd, ce qui n’est pas le cas ici, heureusement). Au contraire, le style sert joliment l’intrigue et l’époque évoquée, et concourt à apporter un côté désuet au roman. Bien vu.

  Les personnages, bien ancrés dans leur temps, sont flamboyants (surtout Rose-Morte, mais je ne vous dirais pas pourquoi !). Ça me rappelle les romans à la Dumas, avec ses personnages qui ont du panache. J’ai particulièrement aimé la façon dont l’auteure les anime. Leurs gestes, leurs attitudes qui sont détaillés. Ce qui les rend vivaces à nos yeux (je me suis plus d’une fois fait la réflexion qu’ils passeraient bien sur le petit écran !). L’apparence des personnages et les décors décrits sont richement parés et revêtent une certaine importance. Qui dit roman d’époque, dit forcément toilettes appropriées ! Et oui, les atours étaient importants dans le temps, passer à côté ne semblerait pas très réaliste. Surtout que notre chère Rose-Morte est à marier.

  Côté intrigue, le contexte historique côtoie une atmosphère plus surnaturelle, qui vient chambouler la donne. Cet aspect est plutôt subtil, ce premier tome se focalisant principalement sur la vengeance de Rose. Le suspense n’est donc pas l’élément moteur, ne vous attendez pas à des retournements de situation en veux-tu en voilà, ce premier tome servant de base à une intrigue plus vaste je pense. « La floraison » (tome qui porte bien son nom je trouve), est donc le récit d’une vengeance, d’une quête pour la vérité et de son exécution. Mais c’est aussi le récit de l’envol d’une jeune femme, qui refuse le carcan dans lequel l’enferme la société de l’époque. Chercher un époux à tout prix, se soumettre aux hommes. A son père puis à son mari. J’ai d’ailleurs hâte de voir Rose voler de ses propres ailes, subjuguée comme elle l’est par le comte de Janlys. Bouh! Liberté ! ^^ Je préfère ne pas trop en révéler sur l’aspect fantastique parce que ce serait vous gâcher le plaisir de la découverte. Mais j’en attends beaucoup dans les prochains tomes, il y a de quoi faire.

Verdict : Avec les honneurs

rock